Pourcette décoration trompe l’oeil, il faut se munir d’une petite boîte d’œuf, avec 4 ou 6 compartiments, de quelques œufs, de peinture et de Même pour un débutant. Mais les règles de base que nous appliquons ligne d’horizon, deux points de fuite et lignes de fuite ne suffisent pas pour dessiner le cube parfait en perspective. Un cube parfait est un parallélépipède rectangle dont les arêtes ont exactement la même longueur. Comment faire un cube sur feuille ?Comment créer un cube en bois ?Comment faire un Trompe-l’œil sur une feuille ?Comment faire le patron d’un cylindre de révolution ?Comment faire un dessin en perspective facile ?Comment faire un patron à partir d’un solide ? Comment faire un cube sur feuille ? © Dessinez un rectangle de 8 x 5 cm sur une feuille de papier. Pour faire un cube de 5 x 5 x 5 cm, dessinez un rectangle de 8 cm de long et 2 cm de large avec un crayon et une règle. A voir aussi Comment faire la prière de Jésus ? Pour un cube de cette taille, votre feuille de papier doit mesurer au moins 8 x 6 pouces X source de recherche. Comment faire un motif de cube? Comment faire un cube 3D en papier ? A découvrir aussi Comment envoyer une lettre par courrier ? Comment avoir des objet gratuit sur fortnite ? Comment on écrit 585 en lettre ? Qui est prioritaire logement social ? Comment écrire 50 000 en lettre ? Comment créer un cube en bois ? Par exemple, pour faire un cube de 40 cm de large et 30 cm de haut dans un comprimé de 1,8 cm d’épaisseur, il vous faudra 2 incisions de 40 cm + 2 incisions de 26,4 cm soit 30 – 3,6. Notez, cependant; Pour des raisons de sécurité, les services de coupe ne permettent pas de couper moins de 20 cm. Sur le même sujet Comment fonctionne le crédit d’impôt ? Comment faire un Trompe-l’œil sur une feuille ? Trompe l’oeil en forme de main Le dessin doit être au milieu de votre feuille de papier. Suivez ensuite les pistes pour obtenir un dessin plus clair. Sur le même sujet Comment avoir 1000 euros tout de suite ? Vous pouvez utiliser la règle pour tracer des lignes parallèles et horizontales. Cependant, vous devez éviter de suivre à l’intérieur de votre main. Comment créer un Trompe-l’oeil ? Commencez par dessiner votre trompette l’oeil au crayon, puis recouvrez-la de peinture acrylique très diluée, avec un pinceau très essoré pour qu’il ne reste pas d’épais dépôts de peinture. Avant de commencer, enlevez toute trace de crayon et de gomme. Comment faire un trompe-l’oeil à partir de la photographie ? Pour prendre une photo en trompe-l’œil, jouez avec les distances entre le premier plan et l’arrière-plan. Plus la distance est grande, plus la photo obtiendra l’effet désiré. Un autre élément est crucial le paysage. Plus il est énorme », plus l’illusion fera son effet. Comment faire le patron d’un cylindre de révolution ? Pour dessiner un motif de cylindre de rayon R = 2 et de hauteur h = 5, tracez deux cercles de rayon R = 2 et un rectangle. Sur le même sujet Comment faire pour avoir Windows 10 gratuit ? Les dimensions de ce rectangle sont hauteur h = 5, circonférence du disque de base 2 × pi × R = 12,56. Pourquoi appelle-t-on le cylindre de révolution ? Définition d’un cylindre en rotation Un cylindre en rotation est un corps délimité par deux bases circulaires de même rayon, parallèles et perpendiculaires à la même ligne passant par leur centre, appelée axe du cylindre. Ces deux bases sont séparées par une surface courbe appelée surface latérale du cylindre. Comment coller un cylindre ? Appuyez sur les languettes avec un stylet ou un feutre pour les verrouiller en place. Appliquez maintenant la colle sur les languettes restantes et collez-les sur la deuxième base du cylindre. Pour une meilleure tenue, tournez le cylindre pour appuyer légèrement sur les languettes. Comment faire un modèle de cylindre? Pour dessiner un motif de cylindre de rayon R = 2 et de hauteur h = 5, tracez deux cercles de rayon R = 2 et un rectangle. Les dimensions de ce rectangle sont hauteur h = 5, circonférence du disque de base 2 × \ pi × R = 12,56. Comment faire un dessin en perspective facile ? Placez la règle sur l’un des points de fuite et tracez une ligne claire à l’endroit où vous souhaitez dessiner l’objet. Tracez encore 2 ou 3 lignes en partant du même point. Lire aussi Comment commencer une nouvelle vie sans argent ? Répétez le processus avec le deuxième point de fuite, de sorte que toutes les lignes partant des deux points se croisent. Comment dessiner pour les débutants ? Il est préférable de commencer par dessiner des objets simples en perspective. C’est la base du succès en dessin. Vous devez toujours savoir ce qu’est une perspective, donc avant de dessiner quoi que ce soit, vous devez savoir comment dessiner un cube en perspective. Comment faire une belle perspective ? C’est simple allez droit devant, regardez devant vous. L’endroit exact où votre œil pointe est la hauteur de la ligne d’horizon. En fait, l’horizon est… à la hauteur de vos yeux ! Comment faire un patron à partir d’un solide ? Un échantillon solide est une surface plane qui, après empilement, permet la production de ce solide sans chevauchement de deux surfaces. Lire aussi Comment faire un doublage de voix sur Tiktok ? Qu’est-ce qu’un patron solide ? Le patron est une figure plate sur une feuille de papier qui permet de construire un solide après découpe. Remarque Il existe plusieurs échantillons pour la même masse. Comment reconnaître un motif de cube ? Le motif du cube est facilement reconnaissable grâce à deux propriétés il se compose toujours de 6 carrés identiques correspondant à 6 surfaces de cube. Il se compose d’un maximum de 4 carrés alignés plus jamais.
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LE PROCÈS TABLE DES MATIÈRES Chapitre 1 Arrestation de Joseph K. Conversation avec madame Grubach, puis avec mademoiselle Burstner 4 Chapitre 2 Interrogatoire 41 Chapitre 3 Dans la salle vide L’étudiant Les greffes 60 Chapitre 4 L’amie de mademoiselle Burstner 89 Chapitre 5 Le bourreau Chapitre 6 L’oncle Leni Chapitre 7 L’avocat, l’industriel et le peintre Chapitre 8 Monsieur Block le négociant K se défait de son avocat Chapitre 9 À la cathédrale Chapitre 10 Chapitre 1 ARRESTATION DE JOSEPH K CONVERSATION AVEC MADAME GRUBACH, PUIS AVEC MADEMOISELLE BURSTNER On avait sûrement calomnié Joseph K., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. La cuisinière de sa logeuse, Mme Grubach, qui lui apportait tous les jours son déjeuner à huit heures, ne se présenta pas ce matin-là . Ce n’était jamais arrivé. K. attendit encore un instant, regarda du fond de son oreiller la vieille femme qui habitait en face de chez lui et qui l’observait avec une curiosité surprenante, puis, affamé et étonné tout à la fois, il sonna la bonne. À ce moment on frappa à la porte et un homme entra qu’il n’avait encore jamais vu dans la maison. Ce personnage était svelte, mais solidement bâti, il portait un habit noir et collant, pourvu d’une ceinture et de toutes sortes de plis, de poches, de boucles et de boutons qui donnaient à ce vêtement une apparence particulièrement pratique sans qu’on pût cependant bien comprendre à quoi tout cela pouvait servir.  Qui êtes-vous ? » demande K. en se dressant sur son séant. Mais l’homme passa sur la question, comme s’il était tout naturel qu’on le prÃt quand il venait, et se contenta de demander de son côté  Vous avez sonné ? – Anna doit me porter le déjeuner », dit K., essayant d’abord muettement de découvrir par déduction qui pouvait être ce monsieur. Mais l’autre ne s’attarda pas à se laisser examiner ; il se retourna vers la porte et l’entrouvrit pour dire à quelqu’un qui devait se trouver juste derrière Il veut qu’Anna lui apporte le déjeuner ! » Un petit rire suivit dans la pièce voisine ; à en juger d’après le bruit, il pouvait se faire qu’il y eût là plusieurs personnes. Bien que l’étranger n’eût pu apprendre de ce rire rien qu’il ne sût auparavant, il déclara  C’est impossible » à K. sur un ton de commandement.  Voilà qui est fort, répondit K. en sautant à bas de son lit pour enfiler son pantalon. Je voudrais bien voir qui sont ces gens de la pièce à côté, et comment Mme Grubach m’expliquera qu’elle puisse tolérer qu’on vienne me déranger de la sorte. » L’idée lui vint bien aussitôt qu’il n’eût pas dû parler ainsi à haute voix, car il avait l’air, en le faisant, de reconnaÃtre en quelque sorte un droit de regard à l’étranger, mais il n’y attacha pas d’importance sur le moment. L’autre l’avait pourtant compris comme il n’aurait justement pas fallu, car il lui dit  N’aimeriez-vous pas mieux rester ici ? – Je ne veux ni rester ici ni vous entendre m’adresser la parole tant que vous ne vous serez pas présenté. – Je le faisais dans une bonne intention », dit l’étranger ; et il ouvrit spontanément la porte. La pièce voisine, où K. entra plus lentement qu’il ne voulait, présentait au premier abord à peu près le même aspect que la veille. C’était le salon de Mme Grubach ; peut-être y avait-il dans cette pièce encombrée de meubles, de dentelles, de porcelaines et de photographies, un peu plus d’espace que d’ordinaire, mais on ne s’en rendait pas compte en entrant, et d’autant moins que la principale modification consistait dans la présence d’un homme assis près de la fenêtre ouverte et armé d’un livre dont il détacha son regard en voyant entrer Joseph K. Vous auriez dû rester dans votre chambre, Franz ne vous l’a-t-il donc pas dit ? – Vous, je voudrais bien savoir ce que vous voulez », dit K. quittant des yeux sa nouvelle connaissance pour regarder sur le pas de la porte celui qu’on venait d’appeler Franz, et revenir ensuite à l’autre. Par la fenêtre, on voyait la vieille femme qui était restée postée à la sienne – juste en face maintenant – avec une curiosité vraiment sénile, pour ne rien perdre de ce qui allait se passer.  Il faut tout de même, dit K., que Mme Grubach… » Et il fit un mouvement, comme pour s’arracher aux deux hommes qui se tenaient pourtant loin de lui, et voulut continuer son chemin.  Non, dit celui qui était près de la fenêtre, en jetant son livre sur une petite table et en se levant, vous n’avez pas le droit de sortir, vous êtes arrêté. – Ça m’en a tout l’air, dit K. Et pourquoi donc ? demandat-il ensuite. – Nous ne sommes pas ici pour vous le dire. Retournez dans votre chambre et attendez. La procédure est engagée, vous apprendrez tout au moment voulu. Je dépasse ma mission en vous parlant si gentiment. Mais j’espère que personne ne m’a entendu en dehors de Franz qui vous traite lui-même sur un pied d’amitié contraire à tous les règlements. Si vous continuez à avoir par la suite autant de chance qu’avec vos gardiens, vous pouvez avoir bon espoir. » K. voulut s’asseoir, mais il s’aperçut alors qu’il n’y avait plus aucun siège dans la pièce, excepté la chaise près de la fenêtre. Vous reconnaÃtrez plus tard, dit Franz, combien nous vous avons dit vrai », et il s’avança sur lui suivi de son compagnon. K. fut énormément surpris, surtout par le dernier, qui lui tapa à plusieurs reprises sur l’épaule. Tous deux regardèrent sa chemise de nuit et déclarèrent qu’il lui faudrait en mettre une bien plus mauvaise, mais qu’ils veilleraient avec grand soin sur cette chemise comme aussi sur tout le reste de son linge, et qu’ils le lui rendraient au cas où son affaire finirait bien.  Il vaut beaucoup mieux, lui dirent-ils, nous confier vos objets à garder, car, au dépôt, il se produit souvent des fraudes et d’ailleurs on y revend tout, au bout d’un temps déterminé, sans s’inquiéter de savoir si le procès est fini. Or, on ne sait jamais, surtout ces derniers temps, combien ce genre d’affaires peut durer. Au bout du compte le dépôt vous rendrait bien le produit de la vente, mais d’abord ce ne serait pas grand-chose, car ce n’est pas la grandeur de l’offre qui décide du prix, mais celle du pot-de-vin, et puis l’expérience montre trop que ces sommes diminuent toujours avec les années en passant de main en main. » K. fit à peine attention à ces discours ; il n’accordait pas grande importance au droit qu’il pouvait encore posséder sur son linge ; il lui semblait beaucoup plus urgent de se faire éclaircir sa situation ; mais, en présence de ces gens, il ne pouvait même pas réfléchir ; le ventre du second inspecteur – ce ne pouvaient être évidemment que des inspecteurs – s’aplatissait à chaque instant sur lui de la façon la plus cordiale, mais lorsqu’il levait les yeux, il découvrait une tête sèche et osseuse, armée d’un grand nez déjeté, qui n’allait pas sur ce gros corps et qui se concertait comme une personne à part avec le second inspecteur. Quels hommes étaient-ce donc là ? De quoi parlaient-ils ? À quel service appartenaient-ils ? K. vivait pourtant dans un État constitutionnel. La paix régnait partout ! Les lois étaient respectées ! Qui osait là lui tomber dessus dans sa maison ? Il avait toujours tendance à prendre les choses légèrement, à ne croire au pire que quand il arrivait et à ne pas s’armer de précautions pour l’avenir, même alors que tout menaçait ; mais, dans le cas qui se présentait, cette attitude lui sembla déplacée ; sans doute cette scène n’était-elle qu’une plaisanterie, une grossière plaisanterie, que ses collègues de la banque avaient organisée à son intention pour des raisons qu’il ignorait – peut-être parce que c’était le jour de son trentième anniversaire – c’était possible, évidemment ; peut-être n’aurait-il qu’à éclater de rire pour que ses gardiens en fissent autant ; peut-être bien ces fameux inspecteurs n’étaient-ils que les commissionnaires du coin ; en tout cas ils leur ressemblaient ; et cependant, depuis l’instant où il avait aperçu Franz, K. était décidé à ne pas abandonner le moindre atout qu’il pût avoir contre ces hommes. Si l’on disait plus tard qu’il n’avait pas compris la plaisanterie, tant pis, ce n’était pas un gros danger ; sans être de ces gens à qui l’expérience profite toujours, il se rappelait avoir été puni par les événements, de s’être sciemment conduit avec imprudence dans certains cas, au contraire de ses amis. Cela ne se reproduirait pas, tout au moins cette fois-ci. S’il s’agissait d’une comédie, il allait la jouer lui aussi. Pour le moment, il était encore libre.  Permettez », dit-il, et, se glissant entre les gardiens, il entra vivement dans sa chambre.  Il semble raisonnable », entendit-il dire derrière lui. Aussitôt chez lui, il ouvrit brutalement les tiroirs de son secrétaire ; tout s’y trouvait dans le plus grand ordre ; mais l’émotion l’empêcha de découvrir immédiatement les pièces d’identité qu’il cherchait. Il finit par mettre la main sur un permis de bicyclette, et il allait déjà le présenter au gardien quand, se ravisant, il l’estima insuffisant et continua à chercher jusqu’à ce qu’il eût trouvé un extrait de naissance. Lorsqu’il revint dans la pièce voisine, la porte d’en face s’en ouvrait et Mme Grubach s’apprêtait à entrer. On n’aperçut d’ailleurs cette dame qu’un instant, car, à peine l’eut-elle reconnu, qu’elle s’excusa, visiblement gênée, disparut et referma la porte avec les plus grandes précautions.  Entrez donc ! » C’était tout ce que K. avait eu le temps de lui dire. Il restait là , planté avec ses papiers à la main au milieu de cette pièce, à regarder la porte qui ne se rouvrait pas ; un appel des gardiens le réveilla en sursaut ; ils étaient attablés devant la fenêtre ouverte, en train de manger son déjeuner.  Pourquoi n’est-elle pas entrée ? demanda-t-il. – Elle n’en a pas le droit, dit le plus grand des deux gardiens. Vous savez bien que vous êtes arrêté. – Pourquoi serais-je donc arrêté ? Et de cette façon, pour comble ? – Voilà donc que vous recommencez ! dit l’inspecteur en plongeant une tartine beurrée dans le petit pot de miel. Nous ne répondons pas à de pareilles questions. – Vous serez bien obligés d’y répondre, dit K. Voici mes papiers d’identité ; maintenant, montrez-moi les vôtres et faites-moi voir, surtout, votre mandat d’arrêt. – Mon Dieu ! mon Dieu ! dit le gardien, que vous êtes long à entendre raison ! On dirait que vous ne cherchez qu’à nous irriter inutilement, nous qui, pourtant, sommes sans doute en ce moment les gens qui vous veulent le plus de bien. – Puisqu’on vous le dit » expliqua Franz, et, au lieu de porter à la bouche la tasse de café qu’il tenait à la main, il jeta sur K. un long regard peut-être très significatif, mais auquel K. ne comprit rien. Il s’ensuivit un long dialogue de regards, malgré K. qui finit pourtant par exhiber ses papiers et par dire  Voici mes pièces d’identité. – Que voulez-vous que nous en fassions ? s’écria alors le grand gardien. Vous vous conduisez pis qu’un enfant. Que voulez-vous donc ? Vous figurez-vous que vous amènerez plus vite la fin de ce sacré procès en discutant avec nous, les gardiens, sur votre mandat d’arrestation et sur vos papiers d’identité ? Nous ne sommes que des employés subalternes ; nous nous connaissons à peine en papiers d’identité et nous n’avons pas autre chose à faire qu’à vous garder dix heures par jour et à toucher notre salaire pour ce travail. C’est tout ; cela ne nous empêche pas de savoir que les autorités qui nous emploient enquêtent très minutieusement sur les motifs de l’arrestation avant de délivrer le mandat. Il n’y a aucune erreur là -dedans. Les autorités que nous représentons – encore ne les connais-je que par les grades inférieurs – ne sont pas de celles qui recherchent les délits de la population, mais de celles qui, comme la loi le dit, sont  attirées », sont mises en jeu par le délit et doivent alors nous expédier, nous autres gardiens. Voilà la loi, où y aurait-il là une erreur ? – Je ne connais pas cette loi, dit K. – Vous vous en mordrez les doigts, dit le gardien. – Elle n’existe certainement que dans votre tête », répondit K. Il aurait voulu trouver un moyen de se glisser dans la pensée de ses gardiens, de la retourner en sa faveur ou de la pénétrer complètement. Mais le gardien éluda toute explication en déclarant  Vous verrez bien quand vous la sentirez passer ! » Franz s’en mêla  Tu vois ça, Willem, dit-il, il reconnaÃt qu’il ignore la loi, et il affirme en même temps qu’il n’est pas coupable ! – Tu as parfaitement raison, dit l’autre, il n’y a rien à lui faire comprendre. » K. ne répondit plus.  Devrais-je, pensait-il, me laisser inquiéter par les bavardages de ces subalternes, puisqu’ils reconnaissent eux-mêmes qu’ils ne sont pas autre chose ? En tout cas, ils parlent de sujets qu’ils ignorent complètement. Leur assurance ne peut s’expliquer que par leur bêtise. Quelques mots avec un fonctionnaire de mon niveau m’éclairciront beaucoup mieux la situation que les plus longs discours de ces deux bonshommes. » Il fit un instant les cent pas dans l’espace libre de la pièce et vit la vieille femme d’en face qui avait traÃné jusqu’à la fenêtre un vieillard plus vieux qu’elle encore qu’elle tenait par la taille. K. sentit la nécessité de mettre fin à cette comédie  Conduisez-moi, dit-il, à votre supérieur. – Quand il le demandera, pas avant, dit le gardien que l’autre avait appelé Willem. Et maintenant je vous conseille, ajouta-t-il, de retourner dans votre chambre et d’y attendre tranquillement ce qu’on décidera de vous. Ne vous épuisez pas en soucis superflus, c’est un conseil que nous vous donnons ; ramassez vos forces plutôt, car vous en aurez grand besoin. Vous ne nous avez pas traités comme notre présence le méritait, vous avez oublié que, quels que nous soyons, nous représentons, au moins maintenant, en face de vous, des hommes libres, et ce n’est pas une mince supériorité. Cependant nous sommes prêts, si vous avez de l’argent, à vous faire apporter un petit déjeuner du café d’en face. » K. ne répondit pas à cette proposition ; il resta là un moment sans rien dire. Peut-être s’il essayait d’ouvrir la porte de la pièce voisine, ou même celle du vestibule, les deux gardiens ne l’en empêcheraient-ils pas ? Peut-être fallait-il pousser les choses au pire ? Il se pouvait que ce fût la clef de la situation. Mais peut-être aussi les gardiens lui mettraient-ils la main dessus s’il essayait alors adieu la supériorité qu’il conservait tout de même sur eux à certains égards ! Aussi préféra-t-il attendre la solution moins incertaine que le cours naturel des choses amènerait nécessairement ; il revint donc dans sa chambre sans ajouter un seul mot. Là , il se jeta sur son lit et prit sur la table de toilette une belle pomme qu’il avait mise de côté la veille pour son petit déjeuner. Il ne lui en restait pas d’autres, mais celuici, comme il s’en convainquit au premier coup de dent, valait beaucoup mieux que le breuvage que la faveur de ses gardiens aurait pu lui faire venir de quelque sale café de nuit. Il se sentait dispos et confiant ; à sa banque évidemment il ratait sa matinée, mais, étant donné le poste relativement supérieur qu’il occupait, on l’excuserait facilement. Devrait-il invoquer sa véritable excuse ? Il songeait à le faire. Si on ne voulait pas le croire, ce qui était assez naturel, il pourrait prendre comme témoins Mme Grubach ou les deux vieillards qui venaient maintenant de se mettre en marche pour se poster à la fenêtre en face de sa chambre. En se plaçant au point de vue de ses gardiens, K. restait étonné qu’on le renvoyât et qu’on le laissât seul dans sa chambre où il avait tant de facilités de se tuer. Mais, en même temps, il se demandait, en se plaçant à son propre point de vue, quelle raison il pourrait bien avoir de le faire. Ce ne pouvait tout de même pas être parce que ces deux hommes mangeaient son déjeuner dans la pièce voisine ! Il eût été si insensé de se suicider que, même s’il avait voulu le faire, il l’eût trouvé tellement stupide qu’il n’y serait jamais parvenu. Si ces gardiens n’avaient pas été des gens aussi visiblement bornés, on eût pu penser que c’était pour la même raison qu’ils ne voyaient pas de danger à le laisser seul. Ils pouvaient bien le regarder, si cela leur faisait plaisir ! Ils le verraient aller chercher un bon vieux schnaps qu’il conservait au fond de son petit placard, vider un verre pour remplacer son déjeuner et un second pour se donner du courage, mais par prudence seulement, pour prévoir l’improbable cas où ce courage serait nécessaire. À ce moment il eut un tel sursaut d’effroi en s’entendant appeler de la pièce voisine que le verre en choqua ses dents.  Le brigadier vous fait demander », lui disait-on. Ce n’était que le cri qui l’avait effrayé, ce cri sec comme un ordre militaire dont il n’eut jamais cru capable le gardien Franz. Quant à l’ordre lui-même, il lui faisait plaisir ; il répondit  enfin ! » sur un ton de soulagement, ferma à clef le petit placard et se hâta d’aller dans la pièce voisine. Il trouva là les deux inspecteurs qui le chassèrent et le renvoyèrent immédiatement dans sa chambre comme si ç’eût été tout naturel.  En voilà des idées, criaient-ils, vous voulez vous présenter en chemise devant le brigadier ? Il vous ferait passer à tabac, et nous aussi par la même occasion. – Laissez-moi donc tranquille, mille diables, s’écria K. repoussé déjà jusqu’à son armoire ; quand on vient me surprendre au lit, on ne peut tout de même pas s’attendre à me trouver en tenue de bal ! – Nous n’y pouvons rien », dirent les inspecteurs qui devenaient presque tristes chaque fois que K. criait, ce qui le désorientait ou le ramenait un peu à la raison.  Ridicules cérémonies », grommela-t-il encore, mais il prenait déjà une veste sur le dossier de sa chaise ; il la tint un instant suspendue des deux mains comme pour la soumettre au jugement des inspecteurs. Ils secouèrent la tête.  Il faut une veste noire », dirent-ils. Là -dessus, K. jeta sa veste sur le sol et dit, sans savoir luimême comment il l’entendait  Ce n’est pourtant pas le grand débat ! » Les inspecteurs se mirent à sourire, mais maintinrent  Il faut une veste noire. – Si cela doit accélérer les choses, je le veux bien », déclara K., et il ouvrit lui-même l’armoire, chercha longtemps parmi tous les habits, choisit son plus beau costume noir, une jaquette dont la coupe cintrée avait presque fait sensation parmi ses connaissances, sortit aussi une chemise propre et commença à s’habiller soigneusement. Il pensait même, dans son for intérieur, qu’il avait accéléré les choses en faisant oublier aux inspecteurs de l’obliger à prendre un bain. Il les observa pour savoir s’ils n’allaient pas lui rappeler d’avoir à le faire, mais ils n’y songèrent naturellement pas ; en revanche, Willem n’oublia pas d’envoyer Franz au brigadier pour annoncer que K. s’habillait. Quand il fut complètement vêtu, il dut traverser la pièce voisine avec Willem sur les talons pour se rendre dans la chambre suivante dont la porte était déjà ouverte à deux battants. Cette chambre, comme K. le savait bien, était occupée depuis peu de temps par une demoiselle Bürstner, dactylographe, qui se rendait de grand matin à son travail pour ne revenir que très tard et avec laquelle K. n’avait guère échangé que des bonjours au passage. La table de nuit qui se trouvait primitivement au chevet du lit avait été poussée au milieu de la chambre pour servir de bureau au brigadier qui se tenait assis derrière. Il avait croisé les jambes et posé un bras sur le dossier de la chaise. Dans un coin de la chambre, trois jeunes gens regardaient les photographies de Mlle Bürstner ; elles étaient accrochées au mur sur une petite natte. Une blouse blanche pendait à la poignée de la fenêtre ouverte. En face, les deux vieillards étaient revenus voir ; ils se tenaient couchés sur l’appui, mais leur groupe s’était accru ; il y avait maintenant derrière eux un homme qui les dépassait de tout son buste ; sa chemise s’ouvrait sur sa poitrine et il tiraillait sa moustache rousse.  Joseph K. ? » demanda le brigadier, peut-être simplement pour attirer sur soi les regards distraits de l’inculpé. K. inclina la tête.  Vous êtes sans doute fort surpris des événements de ce matin ? » demanda le brigadier en déplaçant des deux mains les quelques objets qui se trouvaient sur la petite table de nuit – la bougie, les allumettes, le livre et la boÃte à ouvrage – comme si c’étaient des ustensiles dont il eût besoin pour le débat.  Certainement, dit K. tout heureux de se trouver en face d’un homme raisonnable et de pouvoir parler de son affaire avec lui ; certainement, je suis surpris, mais je ne dirai pas très surpris. – Pas très surpris ? demanda le brigadier en replaçant la bougie au milieu de la petite table, et en groupant les autres choses tout autour. – Vous vous méprenez peut-être sur le sens de mes paroles, se hâta d’expliquer K. Je veux dire, – mais il s’interrompit ici pour chercher un siège. – Je puis m’asseoir, n’est-ce pas ? demanda-t-il. – Ce n’est pas l’usage, répondit le brigadier. – Je veux dire, répéta K. sans plus s’interrompre, que tout en étant très surpris, il y a trente ans que je suis au monde et qu’ayant dû faire mon chemin tout seul, je suis un peu immunisé contre les surprises ; je ne les prends plus au tragique, surtout celle d’aujourd’hui. – Pourquoi surtout celle d’aujourd’hui ? – Je ne veux pas dire que je considère cette histoire comme une plaisanterie ; l’appareil qu’on a déployé me paraÃt trop important pour cela. Si c’était une farce, il faudrait que tous les gens de la pension en fussent, et vous aussi ; cela dépasserait les limites d’une plaisanterie. Je ne veux donc pas dire que c’en soit une. – Fort juste, dit le brigadier en comptant les allumettes de la boÃte. – Mais, d’autre part, continua K. en s’adressant à tout le monde – il aurait même beaucoup aimé que les trois amateurs de photographie se retournassent pour écouter aussi – mais d’autre part l’affaire ne saurait avoir non plus beaucoup d’importance. Je le déduis du fait que je suis accusé sans pouvoir arriver à trouver la moindre faute qu’on puisse me reprocher. Mais, ce n’est encore que secondaire. La question essentielle est de savoir par qui je suis accusé ? Quelle est l’autorité qui dirige le procès ? Êtes-vous fonctionnaires ? Nul de vous ne porte d’uniforme, à moins qu’on ne veuille nommer uniforme ce vêtement – et il montrait celui de Franz – qui est plutôt un simple costume de voyage. Voilà les points que je vous demande d’éclaircir ; je suis persuadé qu’au bout de l’explication nous pourrons prendre l’un de l’autre le plus amical congé. » Le brigadier reposa la boite d’allumettes sur la table.  Vous faites, dit-il, une profonde erreur. Ces messieurs que voici et moi, nous ne jouons dans votre affaire qu’un rôle purement accessoire. Nous ne savons même presque rien d’elle. Nous porterions les uniformes les plus en règle que votre affaire n’en serait pas moins mauvaise d’un iota. Je ne puis pas dire, non plus, que vous soyez accusé, ou plutôt je ne sais pas si vous l’êtes. Vous êtes arrêté, c’est exact, je n’en sais pas davantage. Si les inspecteurs vous ont dit autre chose, ce n’était que du bavardage. Mais, bien que je ne réponde pas à vos questions, je puis tout de même vous conseiller de penser un peu moins à nous et de vous surveiller un peu plus. Et puis, ne faites pas tant d’histoires avec votre innocence, cela gâche l’impression plutôt bonne que vous produisez par ailleurs. Ayez aussi plus de retenue dans vos discours ; quand vous n’auriez dit que quelques mots, votre attitude aurait suffi à faire comprendre presque tout ce que vous venez d’expliquer et qui ne plaide d’ailleurs pas en votre faveur. » K. regarda le brigadier avec de grands yeux. Cet homme, qui était peut-être son cadet, lui faisait ici la leçon comme à un écolier. On le punissait par une semonce de sa franchise ? Et on ne lui apprenait rien ni du motif ni de l’autorité qui déterminait son arrestation ! Pris d’une certaine irritation, il se mit à faire les cent pas avec impatience, ce dont personne ne l’empêcha ; il rentra ses manchettes, tâta son plastron, lissa ses cheveux, dit  cela n’a pas l’ombre de sens commun » en passant devant les trois messieurs – ce qui les fit retourner et provoqua de leur part un regard plein de prévenance, mai aussi de gravité – et revint finalement faire halte devant la table du brigadier.  M. Hasterer, le procureur, est un bon ami à moi, dit-il, puis-je lui téléphoner ? – Certainement, dit le brigadier, mais je ne vois pas bien à quoi cela peut rimer, à moins que vous n’ayez à lui parler de quelque affaire privée. – À quoi cela peut rimer ? s’écria K. plus désorienté qu’irrité. Qui êtes-vous donc ? Vous voudriez que ma conversation téléphonique rime à quelque chose, et vous agissez, vous, sans rime ni raison ? N’est-ce pas à en être pétrifié ? Pour commencer, on me tombe dessus, puis on fait cercle autour de moi, on me fait faire de la haute école ! À quoi rimerait-il de téléphoner à un procureur quand on prétend que je suis arrêté ? C’est bon, je ne téléphonerai pas. – Mais si, lui dit le brigadier en montrant de la main le vestibule où se trouvait le téléphone, téléphonez, je vous en prie. – Non, je ne veux plus », déclara K. en se dirigeant vers la croisée. De l’autre côté, les trois curieux se tenaient toujours à leur fenêtre ; ils ne semblèrent troublés dans leur contemplation que lorsque K. vint les regarder. Les deux vieux voulaient s’en aller, mais l’homme qui se tenait derrière eux les rassura.  Nous avons de fameux spectateurs ! » s’écria K. à haute voix en se tournant vers le brigadier et en les montrant de l’index.  Disparaissez ! » leur cria-t-il. Ils reculèrent aussitôt de quelques pas ; les deux vieux allèrent même se cacher derrière l’homme, qui les couvrit de son large corps et dut, à en juger au mouvement de sa bouche, dire quelque chose que l’éloignement empêcha de comprendre. Mais ils ne disparurent pas complètement ; ils semblaient attendre l’instant où ils pourraient revenir à la fenêtre sans être vus.  Quels malotrus ! » dit K. en se retournant. Il lui sembla, en jetant un regard sur le brigadier, que ce policier l’approuvait. Mais il était fort possible aussi que le brigadier n’eût pas entendu, car il avait posé la main à plat sur la table et semblait comparer les longueurs de ses doigts. Les deux inspecteurs étaient assis sur une malle recouverte d’un tapis et se frottaient les genoux. Les trois jeunes gens s’étaient campés les mains sur les hanches et regardaient un peu partout d’un air désÅ“uvré. Il régnait un calme aussi grand que dans un bureau oublié.  Messieurs, dit K. – et il lui sembla un moment qu’il portait tous ces gens sur ses épaules – à en juger d’après votre attitude, mon affaire a l’air terminée. Je suis d’avis que le mieux est de ne pas réfléchir au bien ou au mal fondé de votre procédé et de mettre gentiment fin à cette histoire en nous serrant réciproquement la main. Si vous êtes du même avis, voilà . » Et il s’avança vers la table du brigadier, la main tendue. Le brigadier releva les sourcils, mordit ses lèvres et regarda la main de K. qui pensait toujours que l’autre allait la saisir. Mais le brigadier se leva, prit un chapeau melon posé sur le lit de Mlle Bürstner et le mit des deux mains avec circonspection comme on s’y prend pour essayer une coiffure neuve.  Les choses vous paraissent bien simples, disait-il en même temps à K. Nous devrions, à votre avis, mettre gentiment fin à cette affaire ? Mais non, voyons, ce n’est pas possible ! Ce qui ne veut pas dire non plus que vous deviez désespérer. Pourquoi désespéreriez-vous ? Vous n’êtes qu’arrêté, rien de plus. C’est ce dont j’avais à vous informer ; j’ai vu comment vous le preniez, cela suffit pour aujourd’hui, et nous pouvons nous séparer, provisoirement bien entendu. Vous voulez sans doute aller maintenant à la banque ? – À la banque ? demanda K., je croyais que j’étais arrêté. » K. parlait sur un ton assez hautain, car, bien que sa poignée de main eût été refusée, il se sentait de plus en plus indépendant de tous ces gens-là , surtout depuis que le brigadier s’était levé. Il jouait avec eux. Il avait l’intention de les suivre jusqu’à la porte de la maison s’ils s’en allaient, et de leur offrir de l’appréhender. Aussi répéta-til  Comment puis-je donc aller à la banque, puisque je suis arrêté ? – C’est bien cela, dit le brigadier, qui était déjà près de la porte, vous ne m’avez pas bien compris ! Vous êtes arrêté, certainement, mais cela ne vous empêche pas de vaquer à votre métier. Personne ne vous interdira de mener votre existence ordinaire. – Cette détention n’a donc rien de bien terrible, dit alors K. en se rapprochant du brigadier. – J’ai toujours été de cet avis, répondit l’autre. – Il semble que dans ces conditions la notification de l’arrestation n’était même pas nécessaire », ajouta K. en approchant encore plus près. Les autres arrivaient à leur tour. Ils formaient maintenant près de la porte un groupe étroitement serré.  C’était mon devoir, dit le brigadier. – Un devoir stupide, dit K. impitoyablement. – Cela se peut, répondit le brigadier, mais nous n’avons pas de temps à perdre à de tels débats ! Je pensais que vous vouliez aller à votre banque. Puisque vous faites attention aux moindres mots, j’ajoute que je ne vous y oblige pas, j’avais seulement cru que vous le désiriez et, pour vous faciliter votre rentrée, pour qu’elle reste aussi inaperçue que possible, j’avais amené ces trois messieurs, qui sont vos collègues, en les priant de se tenir à votre disposition. – Comment ? » s’écria K. en regardant avec étonnement les trois comparses en question. Ces jeunes gens insignifiants et anémiques, que son souvenir n’enregistrait encore que groupés autour des photos de Mlle Bürstner, étaient effectivement des employés de sa banque, non pas des collègues, c’était trop dire – il y avait déjà là une lacune dans l’omniscience du brigadier – mais c’étaient bien en vérité des employés subalternes de la banque. Comment cela avait-il pu lui échapper ? Avait-il fallu que son attention fût accaparée par le brigadier et les inspecteurs pour qu’il ne reconnût pas ces trois jeunes gens ! Il y avait là le raide Rabensteiner qui agitait constamment les mains, le blond Kullisch aux orbites creuses, et Kaminer qui, affligé d’un tic nerveux, souriait toujours intolérablement.  Bonjour, messieurs, dit K. au bout d’un instant, en tendant la main aux trois jeunes gens qui s’inclinaient correctement. Je ne vous avais pas reconnus. Nous allons au travail, n’est-ce pas ? » Les messieurs approuvèrent de la tête en riant et avec beaucoup de zèle, comme s’ils n’avaient pas attendu autre chose depuis le début ; mais lorsque K. s’aperçut qu’il avait oublié son chapeau dans sa chambre, ils coururent tous l’un après l’autre le chercher, ce qui témoignait tout de même d’un certain embarras. K. resta là à les regarder par les deux portes ouvertes ; le dernier parti avait été naturellement l’indifférent Rabensteiner, qui avait adopté un petit trot élégant, mais de pure forme. Ce fut Kaminer qui rapporta le chapeau, et tandis qu’il le lui remettait, K. était obligé de se dire expressément comme à la banque, pour arriver à se contenir, que le sourire de Kaminer n’était pas intentionnel et que Kaminer ne pouvait même jamais sourire intentionnellement. Dans le vestibule, Mme Grubach ouvrit la porte à tout le monde ; elle n’avait pas l’air de se rendre compte de sa faute ; les yeux de K. furent attirés, comme toujours, par le lien de son tablier qui coupait son ventre puissant jusqu’à une profondeur vraiment superflue. En bas, ayant regardé sa montre, il décida de prendre une auto pour ne pas augmenter inutilement son retard. Kaminer courut au coin chercher une voiture ; les deux autres s’évertuaient visiblement à distraire K. lorsque Kullisch montra soudain le portail de la maison d’en face, où venait d’apparaÃtre le grand homme au bouc blond ; un peu gêné dans le premier instant de se montrer dans toute sa longueur, cet homme eut un brusque recul et s’appuya contre le mur. Les vieux devaient se trouver encore dans l’escalier. K. en voulut à Kullisch d’attirer ainsi son attention sur cet individu qu’il avait déjà aperçu et à l’apparition duquel il s’était même attendu.  Ne regardez donc pas », fit-il sans s’inquiéter de ce qu’une telle observation pouvait avoir de surprenant avec de libres citoyens. Mais il n’eut pas besoin de s’expliquer, car l’auto venait d’arriver, tout le monde prit place et on fila. Il s’aperçut alors qu’il n’avait pas remarqué le départ du brigadier et des inspecteurs ; le brigadier lui avait masqué les employés ; maintenant, c’étaient les employés qui lui cachaient le brigadier. Il avait manqué de présence d’esprit et résolut de mieux s’observer à cet égard. Pourtant, il ne put s’empêcher de se retourner encore une fois et de se pencher sur l’arrière de l’auto pour essayer d’apercevoir le départ de ses visiteurs. Mais il se rassit sur-le-champ, sans avoir même tenté de les chercher des yeux, et se rencogna commodément dans la voiture. Malgré les apparences, il aurait eu bien besoin d’être encouragé en ce moment, mais ces messieurs semblaient fatigués Rabensteiner regardait à droite. Kullisch à gauche, et seul Kaminer restait disponible avec son immuable ricanement au sujet duquel la pitié interdisait malheureusement toute espèce de plaisanterie. *** Au début de cette année-là , K., qui restait en général jusqu’à neuf heures au bureau, avait coutume, en en sortant, de faire d’abord une petite promenade, soit seul, soit avec des collègues, puis de finir la soirée au café, où il restait jusqu’à onze heures ordinairement à une table réservée en compagnie de messieurs âgés. Mais il y avait des exceptions à ce programme le directeur de la banque, qui appréciait beaucoup son travail et son sérieux, l’invitait parfois à venir se promener en auto ou à dÃner dans sa villa. De plus, K. se rendait une fois par semaine chez une jeune fille du nom d’Elsa, qui était serveuse toute la nuit dans un café et ne recevait, le jour, ses visites que de son lit. Mais ce soir-là – le temps avait passé très vite grâce à un travail assidu et à une foule de félicitations d’anniversaire aussi flatteuses qu’amicales – K. décida de rentrer chez lui immédiatement. Il n’avait cessé d’y penser pendant toutes les menues pauses de son travail ; il lui semblait, sans trop savoir pourquoi, que les événements du matin devaient avoir causé un grand trouble dans toute la maison de Mme Grubach, et que sa présence était nécessaire pour ramener l’ordre. Sur quoi, toute trace disparaÃtrait des incidents de la matinée et l’existence reprendrait son cours normal. Des trois employés de la banque, il n’y avait rien à redouter ; ils avaient replongé dans l’océan du personnel et rien ne semblait modifié dans leur attitude. K. les avait convoqués à plusieurs reprises, isolément ou simultanément, pour les observer. Chaque fois il avait pu les lâcher satisfait. Lorsque, à neuf heures et demie du soir, il se retrouva devant sa maison, il découvrit sous la porte cochère un jeune garçon qui se tenait là , les jambes écartées, en train de fumer tranquillement sa pipe.  Qui êtes-vous ? demanda K. aussitôt en rapprochant son visage du jeune homme, car on n’y voyait pas bien clair dans la pénombre du passage. – Je suis le fils du concierge, monsieur, répondit le garçon qui s’effaça en retirant sa pipe de sa bouche. – Le fils du concierge ? demanda K. en frappant impatiemment le sol du bout de sa canne. – Monsieur désire-t-il quelque chose ? Dois-je aller chercher mon père ? – Non, non », dit K. avec une note d’indulgence dans la voix, comme si le jeune homme avait fait quelque chose de mal qu’il voulût bien lui pardonner.  C’est bon », ajouta-t-il en repartant, mais avant de prendre l’escalier il se retourna encore une fois. Il aurait pu aller droit dans sa chambre, mais, comme il voulait parler à Mme Grubach, il frappa d’abord à sa porte. Mme Grubach était assise, en train de raccommoder, près d’une table sur laquelle s’amoncelaient de vieux bas. K. s’excusa distraitement de venir si tard, mais Mme Grubach fut très aimable, elle ne voulut pas écouter ses excuses ; il savait bien, déclara-telle, qu’elle était toujours là pour lui et qu’il était son locataire préféré. K. fit des yeux le tour de la pièce ; elle avait complètement repris son ancien aspect la vaisselle du déjeuner qui se trouvait le matin sur la petite table près de la fenêtre avait déjà disparu.  Que les mains des femmes, pensa-t-il, font de choses sans qu’on les entende » ; il eût peut-être brisé cette vaisselle sur place, mais il n’aurait certainement pas pu l’emporter. Il regarda Mme Grubach avec une certaine reconnaissance.  Pourquoi êtes-vous encore à travailler si tard ? » demanda-t-il. Ils étaient maintenant assis tous deux à la table, et K. plongeait de temps en temps ses mains dans le paquet de bas.  Il y a tant de travail ! fit-elle ; dans la journée j’appartiens à mes locataires ; si je veux mettre mes affaires en ordre, il ne me reste que le soir. – J’ai dû vous donner aujourd’hui un gros travail supplémentaire, lui dit-il. – Et en quoi donc ? » demanda-t-elle en s’animant ; le bas qu’elle ravaudait resta dans son giron.  Je veux parler des hommes qui sont venus ce matin. – Ah ! les hommes de ce matin ! dit-elle en reprenant son air paisible, mais non, je n’ai pas eu grand mal. » K. la regarda en silence reprendre son bas à raccommoder…  Elle a l’air, pensait-il, d’être étonnée de me voir aborder ce sujet ; on dirait même qu’elle m’en blâme ; il n’en est que plus urgent de parler. Il n’y a qu’avec une vieille femme que je puisse le faire. »  Si, dit-il au bout d’un moment ; cette histoire vous a certainement donné du travail, mais cela ne se reproduira plus ! – Mais non, cela ne peut pas se reproduire, dit-elle à son tour en souriant à K. d’un air presque mélancolique. – Le pensez-vous sérieusement ? demanda K. – Oui, dit-elle plus bas, mais il ne faut surtout pas prendre la chose trop au tragique. Il s’en passe tellement dans le monde ! Puisque vous me parlez avec tant de confiance, monsieur K., je peux bien vous avouer que j’ai écouté un peu derrière la porte et que les deux inspecteurs m’ont fait quelques confidences. Il s’agit de votre bonheur, et c’est une question qui me tient vraiment à cÅ“ur, peut-être plus qu’il ne convient, car je ne suis que votre propriétaire. J’ai donc entendu quelques petites choses, mais rien de bien grave, on ne peut pas dire. Je sais bien que vous êtes arrêté, mais ce n’est pas comme on arrête les voleurs. Quand on est arrêté comme un voleur, c’est grave, tandis que votre arrestation… elle me fait l’impression de quelque chose de savant – excusez-moi si je dis des bêtises – elle me fait l’impression de quelque chose de savant que je ne comprends pas, c’est vrai, mais qu’on n’est pas non plus obligé de comprendre. – Ce n’est pas bête du tout, ce que vous dites là , madame Grubach, répondit K. Je suis du moins de votre avis en grande partie, mais je vais encore plus loin que vous ; ce n’est pas seulement quelque chose de savant, c’est un néant ridicule. J’ai été victime d’une agression, voilà le fait. Si je m’étais levé à mon réveil, sans me laisser déconcerter par l’absence d’Anna, et si j’étais allé vous trouver sans m’occuper de qui pouvait me barrer le chemin, si j’avais déjeuné pour une fois dans la cuisine et si je m’étais fait apporter par vous mes habits de ma chambre, bref si je m’étais conduit raisonnablement, il ne serait rien arrivé, tout aurait été étouffé dans l’œuf. Mais on est si peu préparé ! À la banque, par exemple, je serais toujours prêt, il ne pourrait rien se passer de ce genre ; j’ai un boy à moi sous la main, j’ai le téléphone pour la ville et le téléphone pour la banque. Il y a toujours des gens qui viennent, des clients ou des employés, et puis surtout je me trouve toujours en plein travail, j’ai donc toute ma présence d’esprit ; j’aurais un véritable plaisir à me retrouver placé là -bas en face d’une pareille histoire. Enfin, passons, c’est une chose finie et je ne voulais même pas en parler ; je voulais seulement savoir votre opinion, l’opinion d’une femme raisonnable, et je suis heureux de voir que nous sommes d’accord. Maintenant, tendez-moi la main ; il me faut une poignée de main pour me confirmer cet accord. »  Me tendra-t-elle la main ? pensait-il ; le brigadier ne l’a pas fait. » Il prit un regard scrutateur pour observer Mme Grubach. Comme il s’était levé, elle se leva aussi, un peu gênée, car elle n’avait pas compris tout ce que K. lui avait expliqué. Et cette gêne lui fit dire une chose qu’elle n’aurait pas voulu et qui venait au mauvais moment  Ne le prenez pas si fort, monsieur K. » Elle avait des larmes dans la voix et elle en oublia la poignée de main.  Je ne le prends pas fort, que je sache », dit K. soudain lassé, en se rendant compte de l’inutilité des encouragements de cette femme. À la porte, il demanda encore  Mlle Bürstner est-elle là ? – Non », dit Mme Grubach en souriant avec une sympathie en retard, tandis qu’elle donnait ce sec renseignement  Elle est au théâtre. Lui vouliez-vous quelque chose ? Dois-je lui faire la commission ? – Je ne voulais lui dire que quelques mots. – Je ne sais malheureusement pas quand elle reviendra ; quand elle est au théâtre elle ne revient en général qu’assez tard. – C’est sans importance, dit K., qui se dirigeait déjà vers la porte, la tête baissée, pour s’en aller ; je voulais simplement m’excuser auprès d’elle de lui avoir emprunté sa chambre ce matin. – Ce n’est pas nécessaire, monsieur K., vous avez trop d’égards, la demoiselle n’en sait rien, elle avait quitté la maison de très bonne heure, et tout est de nouveau en place, voyez vous-même. » Et elle alla ouvrir la porte de la chambre de Mlle Bürstner.  Merci, je vous crois sur parole » dit K. en allant voir quand même. La lune éclairait paisiblement la pièce obscure. Autant qu’on pût s’en rendre compte, tout était vraiment à sa place ; la blouse ne pendait plus à la poignée de la fenêtre, les oreillers du lit semblaient extrêmement hauts ; ils étaient baignés en partie par la lumière de la lune.  La demoiselle revient souvent très tard, dit K. en regardant Mme Grubach comme si elle en était responsable. – C’est la jeunesse, dit Mme Grubach sur un ton d’excuse. – Certainement, certainement, dit K., mais cela peut aller trop loin. – Eh oui ! dit Mme Grubach, comme vous avez raison, monsieur ! Et c’est peut-être même le cas ! Je ne veux pas dire de mal de Mlle Bürstner, c’est une brave petite, bien gentille, bien aimable, bien convenable, et ponctuelle, et travailleuse ; j’apprécie beaucoup tout cela ; mais il y a une chose de vraie, elle devrait être plus fière, elle devrait avoir plus de retenue ; je l’ai déjà vue deux fois ce mois-ci dans des petites rues, et chaque fois avec quelqu’un de différent ; cela me fait beaucoup de peine. Je ne le raconte qu’à vous, monsieur K. Mais je ne pourrai pas éviter de lui en parler à elle-même. Ce n’est d’ailleurs pas la seule chose qui me la fasse suspecter. – Vous faites complètement fausse route, dit K. furieux et presque incapable de dissimuler sa colère ; d’ailleurs, vous vous êtes visiblement méprise sur le sens de ma réflexion au sujet de cette demoiselle. Je ne voulais pas dire ce que vous avez pensé ; je vous conseille même franchement de ne pas lui parler du tout ; je la connais très bien ; il n’y a rien de vrai dans ce que vous disiez. Mais peut-être vais-je trop loin, je ne veux vous empêcher de rien faire, dites-lui ce que vous voudrez. – Mais, monsieur K., dit Mme Grubach, en le suivant jusqu’à la porte qu’il avait déjà ouverte, je n’ai pas du tout l’intention de parler encore à la demoiselle ; il faut d’abord naturellement que je l’observe davantage ; il n’y a qu’à vous que j’aie confié ce que je savais. Après tout, c’est dans l’intérêt de tous les pensionnaires si l’on veut tenir leur pension propre ! Est-ce que je cherche à faire autre chose ? – Propre ! jeta encore K. par l’entrebâillement de la porte ; si vous voulez tenir la pension propre, il vous faut commencer par me donner congé… » Puis il referma brutalement ; on frappa encore légèrement, mais il ne s’en inquiéta pas. Pourtant, comme il n’avait aucune envie de dormir, il décida de ne pas se coucher ; cela lui fournirait en même temps l’occasion de constater l’heure à laquelle rentrerait Mlle Bürstner. Peut-être pourrait-il alors échanger encore quelques mots avec elle, si déplacé que ce pût être. Tout en regardant par la fenêtre, il pensa même un moment dans sa fatigue à punir Mme Grubach en décidant Mlle Bürstner à donner congé avec lui, mais l’exagération de ce procédé lui apparut aussitôt et il se soupçonna de chercher à quitter l’appartement à cause des événements du matin. Rien n’eût été plus fou ni surtout plus inutile et plus méprisable. Quand il fut las de regarder la rue vide, il se coucha sur le canapé après avoir entrouvert la porte du vestibule pour pouvoir identifier du premier coup ceux qui rentreraient. Il resta là à fumer un cigare jusque vers onze heures. Puis, n’y tenant plus, il alla se promener un peu dans le vestibule comme s’il pouvait hâter par là l’arrivée de Mlle Bürstner. Il n’avait pas grand besoin d’elle et ne pouvait même pas se la rappeler très bien, mais il avait décidé de lui parler et il s’impatientait de voir qu’elle dérangeait par son retard la régularité de sa journée. C’était aussi la faute de Mlle Bürstner s’il n’avait pas dÃné ce soir-là et s’il n’était pas allé voir Elsa dans la journée comme il se l’était promis. À vrai dire, pour rattraper le dÃner et la visite, il n’aurait qu’à se rendre au café où Elsa était employée. C’était ce qu’il ferait dès qu’il aurait parlé à Mlle Bürstner. Onze heures et demie étaient déjà passées quand il entendit un pas dans l’escalier. Tout absorbé par ses pensées il allait et venait dans le vestibule aussi bruyamment que dans sa propre chambre ; en entendant monter il se trouva surpris et se réfugia derrière sa porte ; c’était bien Mlle Bürstner qui revenait. En refermant la porte d’entrée elle jeta avec un frisson un châle de soie sur ses frêles épaules. Elle menaçait à chaque instant de retourner dans sa chambre où K. ne pourrait naturellement plus la voir après minuit ; il fallait donc qu’il lui parlât immédiatement. Malheureusement il avait oublié de faire de la lumière chez lui ; s’il sortait de cette pièce obscure il aurait l’air de vouloir sauter comme un brigand sur la jeune fille et lui ferait certainement grand-peur. Ne sachant que faire, comme il n’y avait plus de temps à perdre, il appela à voix basse par l’entrebâillement de la porte  Mademoiselle Bürstner. » On eût dit d’une prière plutôt que d’un appel.  Y a-t-il quelqu’un ici ? demanda Mlle Bürstner en regardant autour d’elle avec des yeux ronds de surprise. – C’est moi, dit K. en s’avançant. – Ah ! monsieur K., dit en souriant Mlle Bürstner ; bonsoir, monsieur, et elle lui tendit la main. – J’avais quelques mots à vous dire, voulez-vous me permettre de le faire maintenant ? – Maintenant ? demanda Mlle Bürstner, faut-il absolument que ce soit maintenant ? n’est-ce pas un peu étrange, dites ? – Je vous attends déjà depuis deux heures. – Ma foi, comme j’étais au théâtre je ne pouvais pas m’en douter. – Les raisons que j’ai de vous parler ne se sont présentées qu’aujourd’hui. – Mon Dieu, je ne vois pas en principe d’obstacle à ce que vous veniez me parler, mais je suis horriblement fatiguée. Passez donc un instant chez moi. Il ne faut pas causer ici, nous réveillerions tout le monde et ce serait encore plus désagréable pour moi que pour les gens. Attendez là et éteignez dans le vestibule dès que j’aurai allumé chez moi. » K. fit comme on le lui avait dit ; il attendit même un peu plus ; finalement, Mlle Bürstner l’appela à voix basse de sa chambre  Asseyez-vous », lui dit-elle en lui indiquant le divan. Pour son compte elle resta debout, adossée au montant du lit malgré la lassitude dont elle avait parlé ; elle n’avait même pas enlevé son petit chapeau qui était orné d’une grande profusion de fleurs.  Que me vouliez-vous donc ? dit-elle. Je suis vraiment curieuse de l’apprendre. » Elle croisa légèrement les jambes.  Vous direz peut-être, commença K., que l’affaire ne pressait pas tant qu’il en fallût parler maintenant, mais… – Je n’écoute jamais les circonlocutions, dit Mlle Bürstner. – Voilà qui facilite ma tâche, déclara K. Votre chambre a donc été un peu dérangée ce matin, et par ma faute en quelque sorte ; ce sont des étrangers qui l’ont fait malgré moi, et pourtant à cause de moi comme je vous l’ai déjà dit c’est de quoi je voulais vous prier de m’excuser. – Ma chambre ? demanda Mlle Bürstner en scrutant le visage de K. au lieu d’examiner la pièce. – Je n’y peux rien, » dit K. Ils se regardèrent tous deux dans les yeux pour la première fois.  La façon dont la chose s’est passée ne mérite pas un mot en elle-même. – Et c’est pourtant le point le plus intéressant, dit Mlle Bürstner. – Non, dit K. – S’il en est ainsi, répondit Mlle Bürstner, je ne veux pas forcer vos confidences, admettons que la chose n’a rien d’intéressant, je ne soulève pas d’objection. Quant à l’excuse que vous me demandez, je vous l’accorde bien volontiers, et d’autant plus facilement que je ne peux pas trouver trace de désordre. » Elle posa les mains à plat sur ses hanches et fit une ronde autour de la pièce. Parvenue à la petite natte à laquelle étaient accrochées les photographies, elle s’arrêta.  Voyez pourtant ! s’écria-t-elle, mes photographies ont été vraiment dérangées ! Voilà qui n’est pas gentil ! Quelqu’un s’est donc vraiment introduit dans ma chambre ? » K. fit oui de la tête tout en maudissant dans son for intérieur l’employé Kaminer qui ne pouvait jamais maÃtriser sa stupide bougeotte.  Il est étrange, dit Mlle Bürstner, que je sois obligée de vous défendre une chose que vous devriez vous interdire de vous-même et que je me voie contrainte de vous dire de ne pas pénétrer chez moi en mon absence ! – Je vous ai pourtant expliqué, mademoiselle, dit K. en allant voir aussi, que ce n’était pas moi qui avais touché à vos photos ; mais, puisque vous n’y croyez pas, je suis bien forcé de vous avouer que la commission d’enquête a amené avec elle trois employés de la banque dont l’un a dû se permettre de déranger ces portraits ; je le ferai renvoyer à la première occasion.  Oui, mademoiselle, il est venu ici une commission d’enquête, ajouta-t-il en voyant que la jeune fille ouvrait des yeux interrogateurs. – Pour vous ? demanda-t-elle. – Mais oui, répondit K. – Non ! s’écria la demoiselle en riant. – Si, dit K., vous me croyez donc innocent ? – Innocent ? dit la demoiselle, je ne voudrais pas prononcer un jugement qui est peut-être gros de conséquences, et puis je ne vous connais pas ; il me semble pourtant que, pour mettre tout de suite une commission d’enquête sur les talons de quelqu’un, il faudrait qu’on eût affaire à un sérieux criminel, et comme vous êtes en liberté car votre calme me permet de croire que vous ne venez pas de vous échapper de prison, vous n’avez sûrement pas commis un bien grand crime. – La commission d’enquête, dit K., peut fort bien avoir reconnu que je suis innocent ou tout au moins beaucoup moins coupable qu’on ne le pensait ? – Certainement, cela se peut, dit Mlle Bürstner soudain très attentive. – Voyez-vous, dit K., vous n’avez pas grande expérience des choses de la justice. – Non, en effet, dit Mlle Bürstner, et je l’ai souvent regretté, car je voudrais tout savoir, les histoires de justice m’intéressent énormément. La justice a une étrange puissance de séduction, ne trouvez-vous pas ? D’ailleurs, je vais certainement en apprendre beaucoup plus long à ce sujet, car je dois entrer le mois prochain dans une étude d’avocat. – C’est une excellente chose, dit K., vous pourrez peutêtre m’aider un peu dans mon procès. – Pourquoi pas ? dit Mlle Bürstner. J’aime bien utiliser ce que je sais. – J’en parle sérieusement, dit K., ou tout au moins avec le demi-sérieux que vous y mettez vous-même. L’affaire est trop peu importante pour que j’aie recours à un avocat, mais un conseil ne pourrait pas me faire de mal. – Si je dois jouer ce rôle de conseillère, déclara Mlle Bürstner, il faut tout de même que je sache de quoi il s’agit. – C’est bien là le hic, dit K., je ne le sais pas moi-même. – Vous vous êtes donc moqué de moi ? dit Mlle Bürstner terriblement déçue, vous auriez pu choisir alors un autre moment. » Et elle s’éloigna des photographies devant lesquelles ils étaient si longtemps restés l’un près de l’autre.  Mais, mademoiselle, dit K., je ne plaisante pas du tout. Quand je pense que vous ne voulez pas me croire… Je vous ai déjà dit ce que je sais, et même plus que je n’en sais, car il ne s’agissait peut-être même pas d’une commission d’enquête, je lui ai donné ce nom parce que je n’en connais pas d’autre. On n’a fait d’enquête sur rien ; j’ai été simplement arrêté, mais par toute une commission. » Mlle Bürstner qui s’était assise sur le divan se mit à rire de nouveau.  Comment cela s’est-il donc passé ? demanda-t-elle. – Une chose effroyable, » dit K. Mais il n’y pensait pas du tout ; il était tout ému du tableau qu’offrait Mlle Bürstner qui, le coude sur un coussin, soutenait sa tête d’une main et promenait lentement l’autre sur sa hanche.  C’est bien trop général, dit-elle. – Qu’est-ce qui est trop général ? » demanda K. Puis il se souvint et demanda  Faut-il vous montrer comment les choses se sont passées ? » Il voulait se remuer un peu, mais sans partir  Je suis déjà bien fatiguée, dit Mlle Bürstner. – Vous êtes revenue si tard ! répondit K. – Voilà maintenant que vous me faites des reproches, répliqua Mlle Bürstner ; après tout vous avez raison, je n’aurais pas dû vous laisser entrer d’ailleurs, ce n’était pas nécessaire, l’événement l’a bien prouvé. – C’était nécessaire, dit K., vous allez le comprendre vous-même. Puis-je éloigner la table de nuit de votre lit ? – Quelle mouche vous pique ! dit Mlle Bürstner, jamais de la vie ! – Alors, je ne puis rien vous montrer, dit K. en sursautant comme si on venait de lui causer un tort irréparable. – Si c’est pour les besoins de votre explication, poussez tout de même la table de nuit, dit Mlle Bürstner qui ajouta au bout d’un moment d’une voix plus faible  Je suis si fatiguée ce soir que je vous en passe plus qu’il ne sied. » K. poussa le petit meuble jusqu’au milieu de la chambre et s’assit derrière.  Il faut que vous vous représentiez exactement la position des acteurs ; c’est une chose très intéressante. Moi je représente le brigadier, là -bas deux inspecteurs sont assis sur le bahut et les trois jeunes gens se tiennent debout en face des photographies. À l’espagnolette de la fenêtre une blouse blanche que je ne mentionne que pour mémoire ; et alors maintenant ça commence. Ah ! j’allais m’oublier, moi qui représente pourtant le personnage le plus important ! Je me tiens donc debout, ici, en face de la table de nuit. Le brigadier est assis le plus confortablement du monde, les jambes croisées, le bras pendant comme je vous le fais voir derrière le dossier de sa chaise…, un gros pignouf, pour dire son nom. Et alors ça commence réellement. Le brigadier appelle comme s’il avait à me réveiller, il pousse un véritable cri, il faut malheureusement pour vous le faire comprendre que je me mette à crier moi aussi ; ce n’est d’ailleurs que mon nom qu’il crie de cette façon. » Mlle Bürstner, qui écoutait en riant, mit bien son index sur sa bouche pour empêcher K. de crier, mais il était déjà trop tard ; K. était trop bien entré dans la peau de son personnage ; il cria lentement  Joseph K. » moins fort d’ailleurs qu’il n’avait menacé de le faire, mais suffisamment cependant pour que le cri une fois lancé semblât ne se répandre que petit à petit dans la chambre. On entendit alors frapper à la porte de la pièce voisine à petits coups secs et réguliers. Mlle Bürstner pâlit et porta la main à son cÅ“ur. L’effroi de K. avait été d’autant plus grand qu’il était resté encore un instant incapable de penser à autre chose qu’aux événements du matin et à la jeune fille à laquelle ces événements l’avaient amené. À peine s’était-il ressaisi que Mlle Bürstner bondit vers lui et lui prit la main  Ne craignez rien, chuchota-t-il, ne craignez rien, j’arrangerai tout. Mais qui cela peut-il bien être ? Il n’y a ici que le salon et personne n’y couche. – Mais si, lui souffla Mlle Bürstner dans l’oreille, depuis hier il y a le neveu de Mme Grubach, un capitaine, qui y couche parce qu’elle n’a pas d’autre pièce libre. Je l’avais oublié moi aussi. Pourquoi a-t-il fallu que vous poussiez un tel cri ? Ah ! mon Dieu, que je suis malheureuse ! – Vous n’en avez aucun motif » dit K. en l’embrassant sur le front, tandis qu’elle se laissait retomber dans les coussins. Mais elle se dressa d’un bond  Filez, filez ; partez ! mais partez donc ! Que voulezvous ? Il écoute à la porte, il entend tout ; comme vous me tourmentez ! – Je ne partirai pas, dit K., avant de vous voir un peu rassurée. Venez dans l’autre coin, il ne pourra pas nous entendre. » Elle s’y laissa conduire.  C’est peut-être un incident ennuyeux pour vous mais vous ne courez aucun danger. Vous savez bien que Mme Grubach, dont tout dépend dans cette histoire – surtout puisque le capitaine est son neveu – a un véritable culte pour moi et qu’elle croit tout ce que je dis comme parole d’évangile. D’ailleurs, je la tiens, car elle m’a emprunté une assez grosse somme. Je prendrai sur moi de lui présenter l’explication que vous voudrez pour peu qu’elle soit conforme au but, et je m’engage à amener Mme Grubach non pas seulement à faire semblant d’y ajouter foi pour le public, mais à la croire réellement ; rien ne vous oblige à m’épargner si vous voulez qu’on dise que je vous ai assaillie, c’est ce que je dirai à Mme Grubach, et elle le croira sans m’ôter sa confiance tant cette femme m’est attachée. » Mlle Bürstner, légèrement effondrée sur son siège, regardait muettement le sol.  Pourquoi Mme Grubach ne croirait-elle pas, ajouta K., que je vous ai assaillie ? » Il voyait devant lui les cheveux de la jeune fille, des cheveux bas, bouffants et fermes, à reflets rougeâtres et partagés par une raie. Il pensait que Mlle Bürstner allait tourner les yeux vers lui, mais elle lui dit sans changer de position  Excusez-moi, j’ai été effrayée par la soudaineté du bruit beaucoup plus que par les conséquences que pourrait avoir la présence du capitaine ; il y a eu un tel silence après votre cri ! Et c’est dans ce silence qu’on s’est mis tout à coup à frapper à la porte ; c’est cela qui m’a tant fait peur, d’autant plus que j’étais tout près ; on a frappé presque à côté de moi. Je vous remercie de vos propositions, mais je ne les accepte pas, c’est à moi de répondre de ce qui se passe dans ma chambre, et personne n’a à m’en demander compte ; je suis surprise que vous ne vous aperceviez pas de ce qu’il y a de blessant dans vos propositions, malgré l’excellence de vos intentions que je me plais à reconnaÃtre ; mais maintenant allez-vous-en, laissez-moi seule, j’en ai plus besoin que jamais. Les trois minutes que vous m’aviez demandées se sont transformées en une demi-heure et même plus. » K. la prit d’abord par la main, puis par le poignet.  Vous ne m’en voulez pas ? » dit-il. Elle dégagea doucement sa main et répondit  Non, non, je n’en veux jamais à personne. » Il la reprit par le poignet. Cette fois-ci elle le laissa faire et le ramena jusqu’à la sortie. Il était fermement décidé à partir. Mais, parvenu devant la porte, il eut un recul comme s’il ne s’était pas attendu à la trouver là ; Mlle Bürstner profita de cet instant pour se libérer, ouvrir et se glisser dans le vestibule d’où elle lui chuchota  Allons, venez maintenant, je vous en prie. Voyez – et elle montrait la porte du capitaine sous laquelle passait un rayon de lumière – il a allumé et il s’amuse à nous écouter faire. – Je viens, je viens », dit K. en sortant rapidement. Il l’attrapa et la baisa sur la bouche, puis sur tout le visage, comme un animal assoiffé qui se jette à coups de langue sur la source qu’il a fini par découvrir. Pour terminer il l’embrassa encore dans le cou, à l’endroit du gosier sur lequel il attarda longtemps ses lèvres. Il fut interrompu par un bruit qui venait de la chambre du capitaine.  Maintenant, je m’en vais », dit-il. Il voulait encore appeler Mlle Bürstner par son prénom, mais il l’ignorait. Elle lui adressa un signe de tête fatigué, lui laissa sa main à baiser, déjà tournée pour repartir comme si elle ignorait tout cela, et regagna sa chambre le dos voûté. K. ne tarda pas à se coucher ; le sommeil le visita vite ; avant d’y succomber il réfléchit encore un peu à sa conduite il en était satisfait, mais s’étonnait de ne pas l’être davantage ; il redoutait sérieusement la présence du capitaine pour Mlle Bürstner. Chapitre 2 PREMIER INTERROGATOIRE K. avait été avisé par téléphone qu’on procéderait le dimanche suivant à une petite enquête sur son affaire. On l’avait prévenu aussi que l’instruction se poursuivrait désormais régulièrement et que les interrogatoires auraient lieu, sinon toutes les semaines, du moins assez fréquemment ; il fallait, lui avait-on dit, terminer rapidement le procès dans l’intérêt de tout le monde, mais les interrogatoires n’en devaient pas moins être extrêmement minutieux, tout en restant assez courts cependant pour épargner un excès de fatigue. C’étaient là les raisons qui avaient engagé à choisir ce système de petits interrogatoires fréquents. Quant au dimanche, si on avait préféré ce jour c’était pour ne pas déranger K. dans son travail professionnel. On supposait qu’il était d’accord ; toutefois s’il préférait une autre date on tâcherait de lui faire plaisir dans la mesure du possible, en l’interrogeant de nuit par exemple, mais ce n’était pas un bon système, car K. ne serait pas assez dispos pour supporter une telle fatigue, de sorte qu’on s’en tiendrait au dimanche, s’il n’y voyait pas d’objection. Naturellement il était tenu de se présenter, il était inutile qu’on insistât là dessus ; on lui dit le numéro de la maison où il devrait venir ; il s’agissait d’un immeuble lointain situé dans une rue de faubourg où K. n’était jamais allé. Il raccrocha le récepteur sans rien répondre quand on lui communiqua cette information ; il était décidé à se rendre là -bas ; c’était certainement nécessaire ; le procès se nouait et il fallait faire face à la situation ; il fallait que ce premier interrogatoire fût aussi le dernier. Il restait là pensivement près de l’appareil quand il entendit derrière lui la voix du directeur adjoint qui aurait voulu téléphoner, mais auquel il barrait le chemin.  Mauvaises nouvelles ? » demanda le directeur adjoint d’un ton léger, non pour apprendre quelque chose, mais simplement pour éloigner K. de l’appareil.  Non, non » dit K. en s’effaçant, mais sans partir. Le directeur adjoint décrocha le récepteur et dit à K. sans lâcher l’appareil, en attendant sa communication  Une question, monsieur K. ; me feriez-vous le plaisir de venir dimanche matin pour une partie dans mon voilier ? Il y aura pas mal de monde et vous trouverez certainement des amis. Le procureur Hasterer entre autres. Voulez-vous venir ? Allons, dites oui. » K. tâcha de faire attention à ce que lui disait le directeur adjoint. C’était presque un événement, car cette invitation du directeur adjoint, avec lequel il ne s’était jamais très bien entendu, représentait de la part de son chef une tentative de réconciliation et montrait l’importance de la place que K. avait prise à la banque ; elle montrait le prix que le second chef de l’établissement attachait à l’amitié de K. ou tout au moins à sa neutralité. Bien que le directeur adjoint n’eût prononcé cette invitation qu’en attendant sa communication et sans lâcher le récepteur, elle constituait cependant une humiliation de sa part ; K. lui en fit subir une seconde en répondant  Je vous remercie infiniment, mais j’ai déjà promis ma matinée de dimanche. – Dommage ! » dit le directeur adjoint en se retournant vers le téléphone où la conversation venait de s’engager. La communication fut assez longue, mais K., distrait, resta tout le temps près de l’appareil. Ce ne fut qu’en voyant le directeur adjoint raccrocher qu’il sursauta et dit, pour excuser un peu son inutile présence  On vient de me téléphoner d’aller quelque part, mais on a oublié de me dire à quelle heure. – Rappelez donc, dit le directeur adjoint. – Oh ! ça n’a pas une telle importance ! » dit K., bien que cette affirmation diminuât la valeur déjà insuffisante de sa précédente excuse. Le directeur adjoint lui parla encore en s’en allant de divers sujets. K. se contraignit à répondre, mais il pensait à autre chose. Il se disait que le mieux serait de se présenter, les autres jours, à neuf heures, puisque c’est l’heure où la justice commence à fonctionner en semaine. Le dimanche, il fit un temps gris. K. se trouvait très fatigué, ayant passé la moitié de la nuit au restaurant à l’occasion d’une petite fête à la table des habitués, et il faillit en oublier l’heure. Il n’eut pas le temps de réfléchir et de coordonner les différents projets qu’il avait élaborés pendant la semaine ; il dut s’habiller au plus vite et se rendre sans déjeuner dans le faubourg qu’on lui avait indiqué. Bien qu’il n’eût guère le temps de regarder la rue, il aperçut en chemin – fait étrange – Rabensteiner, Kullisch et Kaminer ; les trois employés de la banque qui étaient mêlés à son affaire. Les deux premiers le croisèrent en tramway, mais Kaminer était assis à la terrasse d’un café bordé d’une balustrade sur laquelle il se pencha avec curiosité au moment où K. passa devant lui. Tous trois l’avaient suivi des yeux, surpris de voir courir ainsi leur supérieur ; c’était une sorte d’esprit de bravade qui avait empêché K. de prendre le tramway ; il éprouvait une répulsion à employer dans son affaire le secours de qui que ce fût ; il ne voulait avoir recours à personne pour être sûr de ne mettre personne dans le secret ; enfin, il n’avait pas la moindre envie de s’humilier devant la commission d’enquête par un excès de ponctualité. En attendant, il se hâtait, soucieux d’arriver à neuf heures, bien qu’il n’eût pas été convoqué pour un moment précis. Il avait pensé qu’il reconnaÃtrait de loin la maison à quelque signe dont il n’avait encore aucune idée, ou à un certain mouvement devant ses portes. Mais la rue SaintJules où le bâtiment devait se trouver, et à l’entrée de laquelle il s’arrêta un instant, ne présentait de chaque côté qu’une longue série de hautes maisons grises et uniformes, grandes casernes de rapport qu’on louait à de pauvres gens. Par ce matin de dimanche, la plupart des fenêtres étaient occupées, des hommes en manches de chemise s’appuyaient là ou tenaient de petits enfants au bord de l’accoudoir avec prudence et tendresse. À d’autres fenêtres s’élevaient des piles de draps, de couvertures et d’édredons au-dessus desquelles passait parfois la tête d’une femme échevelée. On s’appelait, on se lançait des plaisanteries d’un côté à l’autre de la rue ; l’une de ces plaisanteries fit beaucoup rire aux dépens de K. Il y avait tout le long des maisons, à intervalles réguliers, de petits étalages de fruits, de viande ou de légumes un peu audessous du niveau de la rue pour y accéder il fallait descendre quelques marches, des femmes allaient et venaient là , d’autres conversaient sur l’escalier. Un marchand des quatre-saisons qui criait ses denrées faillit renverser K. avec sa baladeuse. Au même moment, un gramophone, qui avait usé sa première vigueur dans des quartiers plus luxueux, entonna un hymne vainqueur. K. s’enfonça lentement dans la rue comme s’il avait eu le temps maintenant, ou comme si le juge d’instruction l’avait vu par quelque fenêtre et savait qu’il était présent. Il était un peu plus de neuf heures. La maison était assez loin, elle avait une façade extraordinairement longue et une porte de formidables dimensions qui devait avoir été percée pour le charroi des marchandises des divers dépôts qui entouraient la grande cour, portes fermées et dont certains s’ornaient de noms de firmes que K. connaissait par la banque. À l’encontre de ses habitudes il s’occupa minutieusement de ces détails et s’arrêta même un instant à l’entrée de la cour. Près de lui, assis sur une caisse, un homme pieds nus lisait le journal. Deux jeunes garçons se balançaient aux deux bouts d’une voiture à bras. Devant une pompe une grêle fillette en camisole se tenait debout et regardait K. pendant que sa cruche s’emplissait. Dans un coin, entre deux fenêtres, on pendait du linge sur une corde ; un homme, au-dessous, dirigeait le travail en lançant des indications. K. s’avançait déjà vers l’escalier quand il s’arrêta tout à coup en s’apercevant qu’il y en avait encore trois autres, sans compter un petit passage qui devait mener à une seconde cour. Il s’irrita de voir qu’on ne lui avait pas précisé la situation du bureau où il devait se rendre ; on l’avait vraiment traité avec une négligence étrange ou une indifférence révoltante ; il avait l’intention de le faire remarquer haut et ferme. Il finit tout de même par monter le premier escalier, jouant en pensée avec l’expression de l’inspecteur Willem qui lui avait dit que la justice était  attirée par le délit », d’où il suivait que la pièce cherchée se trouverait forcément au bout de l’escalier que K. choisissait par hasard. En montant il dérangea des enfants qui jouaient sur le palier et qui le regardèrent d’un mauvais Å“il quand il traversa leurs rangs.  Si je reviens ici, se disait-il, il faudra que j’apporte des bonbons pour gagner leurs bonnes grâces ou une canne pour les battre. » Il dut même attendre un moment qu’une boule de jeu de quille eût achevé son chemin ; deux gamins qui avaient déjà de mauvaises têtes de rôdeurs adultes l’y obligèrent en le maintenant par le pantalon ; s’il les avait secoués il leur aurait fait du mal et il redoutait leurs cris. Ce fut au premier étage que ses vraies recherches commencèrent. Comme il ne pouvait demander le juge d’instruction il inventa un menuisier Lanz – ce nom lui vint à l’esprit parce que c’était celui du neveu de Mme Grubach – et il décida de demander à toutes les portes si c’était là qu’habitait le menuisier Lanz, afin de posséder un prétexte pour regarder l’intérieur. Mais il s’aperçut qu’on pouvait le faire la plupart du temps bien plus facilement encore, car presque toutes les portes étaient ouvertes pour permettre aux enfants d’aller et de venir. Elles laissaient voir en général de petites pièces à une fenêtre qui servaient de cuisine et de chambre à coucher. Des femmes armées de leur dernier nourrisson remuaient de leur main libre des casseroles sur le foyer. Des gamines vêtues d’un simple tablier semblaient faire tout le travail. Dans certaines chambres les lits étaient encore occupés par des malades, des dormeurs ou des gens qui se reposaient tout habillés. Quand une porte était fermée, K. frappait et demandait si le menuisier Lanz n’habitait pas là . La plupart du temps une femme ouvrait, écoutait la question et se retournait vers quelqu’un qui se redressait sur le lit.  Ce monsieur demande s’il n’y a pas ici un menuisier Lanz. – Un menuisier Lanz ? demandait-on du lit. – Oui, » disait K. bien que le juge d’instruction ne fût pas là et qu’il n’eût plus rien à savoir. Bien des gens pensaient qu’il devait tenir beaucoup à trouver ce menuisier Lanz ; ils réfléchissaient longuement et finissaient par nommer un menuisier, mais qui ne s’appelait pas Lanz, ou par dire un nom qui présentait avec celui de Lanz une lointaine ressemblance, ou encore ils allaient interroger le voisin, ou bien ils accompagnaient K. jusqu’à la porte de quelque appartement impossible où il pouvait y avoir à leur avis quelqu’un qui répondÃt au nom qu’on leur disait ou un monsieur qui saurait mieux renseigner K. Finalement, K. n’eut presque plus à interroger lui-même ; on le mena à peu près partout. Il en faillit déplorer sa méthode qui lui avait d’abord paru si pratique. Au cinquième étage, il décida de renoncer à ses recherches, prit congé d’un jeune ouvrier qui voulait très aimablement le mener un peu plus haut, et redescendit. Mais, dépité alors par l’inutilité de son entreprise, il finit tout de même par remonter et frappa à une porte du cinquième. La première chose qu’il vit dans la petite pièce fut une grande horloge qui marquait déjà dix heures.  Est-ce ici chez le menuisier Lanz ? demanda-t-il. – Entrez », dit une jeune femme aux yeux noirs en train de laver du linge d’enfants dans un baquet, en lui montrant de sa main savonneuse la porte ouverte de la pièce voisine. K. crut qu’il avait mis les pieds dans une réunion publique. Une foule de gens des plus divers emplissait une pièce à deux fenêtres autour de laquelle courait à faible distance du plafond une galerie bondée de monde et où les spectateurs ne pouvaient se tenir que courbés, la tête et le dos butant le plafond. Nul ne s’inquiéta de son entrée. K., trouvant l’air trop épais, ressortit et dit à la jeune femme qui l’avait sans doute mal compris  Je vous avais demandé un certain Lanz qui est menuisier de son état. – Mais oui ! dit la femme, vous n’avez qu’à entrer. » K. ne l’eût sans doute pas fait si elle n’avait saisi juste à ce moment la poignée de la porte en disant  Après vous il faut que je ferme ; personne n’a plus le droit d’entrer. – C’est fort raisonnable, dit K., mais la pièce est déjà trop pleine. » Puis il entra tout de même. Entre deux hommes qui s’entretenaient contre la porte – l’un faisait des deux mains le geste de donner de l’argent, l’autre le regardait dans les yeux – une main vint agripper K. C’était celle d’un petit jeune homme aux joues rouges.  Venez, venez », disait-il. K. se laissa conduire ; il s’aperçut que la cohue laissait un étroit passage qui devait séparer deux partis ; c’était d’autant plus vraisemblable que tout le long des deux premières rangées, celle de droite et celle de gauche, il ne vit pas un seul visage tourné vers lui, mais seulement les dos de gens qui n’adressaient leurs discours et leurs gestes qu’à une moitié de l’assemblée. La plupart étaient vêtus de noir et portaient de longues redingotes de cérémonie qui pendaient mollement sur leurs corps. C’était ce vêtement qui désorientait K. ; sans lui il aurait cru se trouver dans une réunion politique. À l’autre bout de la pièce, où on le conduisit, une petite table avait été posée en large sur une estrade basse et couverte de gens comme le reste de la salle ; derrière la table, près du bord de cette estrade, un petit homme gras et essoufflé était assis, en train de parler, au milieu de rires bruyants, avec un homme qui se tenait debout derrière lui, les jambes croisées et les coudes appuyés sur le dossier de la chaise de son interlocuteur. Il agitait parfois les bras en l’air comme pour caricaturer quelqu’un ; le jeune homme qui conduisait K. eut peine à exécuter sa mission. Il avait déjà cherché par deux fois, en se levant sur la pointe des pieds, à annoncer son visiteur sans parvenir à se faire voir du petit homme. Ce ne fut que quand l’une des personnes de l’estrade eut attiré son attention sur le garçon que le petit homme se retourna et écouta en se penchant la communication que l’autre lui chuchota. Puis il sortit sa montre et jeta un bref regard sur K.  Vous auriez dû vous présenter, dit-il, il y a une heure et cinq minutes. » K. voulut répondre quelque chose, mais il n’en eut pas le temps, car, à peine l’homme eut-il fini de parler, qu’un murmure général s’éleva dans la moitié droite de la salle.  Vous auriez dû vous présenter il y a une heure et cinq minutes, » répéta alors l’homme en élevant la voix et en jetant les yeux sur le public. La rumeur enfla subitement, puis, l’homme ne disant plus rien, s’apaisa petit à petit. Le calme était maintenant plus grand qu’au moment de l’entrée de K. Seuls les gens de la galerie ne cessaient de faire leurs remarques. Autant qu’on pût les distinguer dans la pénombre, la poussière et la fumée, ils semblaient bien plus mal vêtus que ceux d’en bas. Beaucoup d’entre eux avaient apporté des coussins qu’ils avaient mis entre leur tête et le plafond pour ne pas se cogner le crâne. K., ayant décidé d’observer plus que de parler, renonça à s’excuser de son prétendu retard et se contenta de déclarer  Que je sois venu trop tard ou non, maintenant je suis ici. » Les applaudissements retentirent de nouveau dans la moitié droite de la salle.  Les faveurs de ces gens sont faciles à gagner », pensa K. inquiet seulement du silence de la moitié gauche devant laquelle il se tenait et d’où ne s’étaient élevées que des approbations isolées. Il se demanda ce qu’il pourrait dire pour gagner tout le monde d’un seul coup ou, si ce n’était pas possible, pour s’acquérir au moins un temps la sympathie de ceux qui s’étaient tus jusque-là .  Oui, lui répondit alors le petit homme, mais je ne suis plus obligé de vous écouter maintenant. » Le murmure recommença, mais il prêtait cette fois à des malentendus, car l’homme continuait à parler tout en faisant signe aux gens de se taire  Je le ferai pourtant aujourd’hui, une fois encore, par exception. Et maintenant avancez. » Quelqu’un sauta au pied de l’estrade, laissant à K. une place libre qu’il vint prendre. Il se trouvait collé contre le bord de la table et il y avait une telle presse derrière lui qu’il était obligé de résister aux gens pour ne pas risquer de renverser la table du juge d’instruction et peut-être le juge avec. Mais le juge d’instruction ne s’en inquiétait pas le moins du monde, il était confortablement assis sur sa chaise. Après avoir dit un mot à l’homme qui se tenait derrière lui, il saisit un petit registre, le seul objet qui se trouvât là . On eût dit un vieux cahier d’écolier tout déformé à force d’avoir été feuilleté.  Voyons donc, dit le juge d’instruction en tournant les pages du registre et en s’adressant à K. sur le ton d’une constatation, vous êtes peintre en bâtiment ? – Non, dit K., je suis fondé de pouvoir d’une grande banque. » Cette réponse fut saluée par le parti de droite d’un rire si cordial que K. ne put s’empêcher de faire chorus. Les gens avaient posé leurs mains sur leurs genoux et se secouaient comme dans un terrible accès de toux ; le juge d’instruction, furieux et ne pouvant sans doute rien contre le parterre, chercha à se dédommager sur la galerie et la menaça en fronçant ses sourcils, qu’on ne remarquait pas d’ordinaire, mais qui parurent hérissés, noirs et terribles en ce moment d’irritation. La moitié gauche de la salle avait conservé tout son calme ; les gens restaient bien alignés, le visage tourné vers l’estrade et écoutaient aussi tranquillement le vacarme d’en haut que celui d’à côté ; ils laissaient même certains d’entre eux sortir des rangs et se mêler de temps en temps à l’autre parti. Ces gens de gauche, qui étaient d’ailleurs les moins nombreux, n’étaient peut-être pas plus forts au fond que ceux de droite, mais le calme de leur conduite leur donnait plus d’autorité. Lorsque K. se mit à parler, il se sentait convaincu qu’ils étaient de son avis.  Vous m’avez demandé, dit-il, monsieur le Juge d’instruction, si je suis peintre en bâtiment ; ou, pour mieux dire, vous ne m’avez rien demandé du tout, vous m’avez asséné votre constatation comme une vérité première ; cela caractérise bien la façon dont tout le procès a été mené contre moi ; vous pouvez m’objecter d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un procès. Dans ce cas, je vous donne cent fois raison ; vos procédés ne constituent une procédure que si je l’admets. C’est ce que je veux bien faire pour le moment ; en quelque sorte par pitié ; c’est à ce prix seul qu’on peut se résoudre à leur accorder quelque attention. Je ne dis pas qu’ils représentent un sabotage de la justice, mais j’aimerais vous avoir fourni cette expression pour qu’elle vous vÃnt à vous-même en y songeant. » K. s’interrompit alors pour regarder dans la salle. Ses paroles avaient été sévères, plus sévères qu’il ne l’avait projeté, mais elles étaient restées justes. Elles auraient mérité les applaudissements de l’un ou de l’autre parti, pourtant tout le monde restait muet ; on attendait visiblement la suite avec une grande curiosité ; peut-être se préparait-on en cachette à un éclat qui mettrait fin à tout. Aussi K. fut-il ennuyé de voir entrer à ce moment la jeune laveuse qui, ayant sans doute terminé son travail, venait prendre sa part du spectacle ; il ne put empêcher le public, malgré toutes ses précautions, de détourner un peu le regard. Seul le juge d’instruction lui fit vraiment plaisir, car il semblait piqué par ses observations. Surpris par l’interpellation au moment où il s’était levé pour apostropher la galerie, il avait écouté jusque-là sans s’asseoir. Il profita de l’interruption pour le faire insensiblement, comme s’il eût fallu éviter de laisser remarquer ce geste. Puis, pour se donner une contenance probablement, il reprit le registre en main.  Tout cela ne sert à rien, dit K. Votre registre, monsieur le Juge, confirme lui-même mes paroles. » Satisfait de n’entendre plus que son calme discours au sein de cette assemblée, il eut l’audace d’empoigner le cahier du juge d’instruction et de le brandir en le tenant du bout des doigts par une page du milieu comme s’il avait peur de le toucher, de sorte qu’on vit les feuillets pendiller de chaque côté, étalant au grand jour leurs pattes de mouche, leurs taches et leurs marques jaunâtres.  Voilà les documents de M. le Juge d’instruction, dit K. en laissant retomber le registre sur la table. Continuez à les éplucher, monsieur le Juge d’instruction, je ne redoute pas ces feuilles accusatrices, bien qu’elles soient hors de ma portée, car je ne puis que les effleurer du bout des doigts. » Le juge d’instruction prit le registre comme il était tombé sur la table, chercha à le retaper un peu et le remit devant ses yeux. C’était un signe de profonde humiliation, du moins était-on forcé de l’interpréter ainsi. Les gens de la première rangée tendaient leurs visages vers K. avec une telle curiosité qu’il s’attarda un petit moment à les regarder. C’étaient de vieux hommes, plusieurs avaient la barbe blanche ; peut-être tout dépendait-il de ces vieillards, c’étaient peut-être eux qui pouvaient le mieux influencer cette assemblée que l’humiliation du juge d’instruction n’avait pas réussi à faire sortir de l’impassibilité où elle était tombée depuis le discours de K.  Ce qui m’est arrivé, poursuivit-il un peu plus bas que précédemment, et il cherchait à chaque instant à scruter les visages de la première rangée – ce qui prêtait à son discours une apparence un peu distraite, ce qui m’est arrivé n’est qu’un cas isolé ; il n’aurait donc pas grande importance, car je ne le prends pas au tragique, s’il ne résumait la façon dont on procède avec bien d’autres qu’avec moi. C’est pour ceux-là que je parle ici et non pour moi. » Il avait involontairement élevé la voix. Quelqu’un applaudit quelque part à bras tendus en criant  Bravo ! et pourquoi pas ? Bravo et encore bravo ! » Certains vieillards du premier rang passèrent la main dans leur barbe ; l’exclamation n’en fit retourner aucun. K. ne lui attribua non plus aucune importance, mais il en fut tout de même encouragé, il n’estimait plus nécessaire que tout le monde l’applaudÃt ; il suffisait que la plupart des gens fussent poussés à la réflexion et qu’il en persuadât quelqu’un de temps à autre.  Je ne cherche pas un succès d’orateur, dit-il, suivant le fil secret de sa pensée, je ne réussirais d’ailleurs pas. Monsieur le Juge d’instruction parle sans doute beaucoup mieux que moi, cela entre dans ses attributions. Je veux simplement soumettre au jugement du public une anomalie qui est publique. Écoutez ceci j’ai été arrêté il y a environ dix jours – le fait en lui-même m’amuse, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. On est venu me surprendre au lit de grand matin ; peut-être – après ce qu’a dit le juge d’instruction cela m’apparaÃt fort possible – peut-être avait-on reçu l’ordre d’arrêter quelque peintre en bâtiment tout aussi innocent que moi, mais en tout cas c’est moi qu’on choisit pour opérer. La pièce voisine fut occupée par deux grossiers inspecteurs. Si j’avais été un bandit dangereux on n’aurait pas pris plus de précautions. Ces inspecteurs étaient d’ailleurs des individus sans moralité qui m’ont cassé les oreilles pour se faire soudoyer, pour m’escroquer mes habits et mon linge ; ils m’ont demandé de l’argent pour aller me chercher, disaient-ils à déjeuner, après avoir effrontément bu mon propre café au lait sous mes yeux. Et ce n’est pas tout ! On m’a conduit devant le brigadier dans une troisième pièce de l’appartement. C’était la chambre d’une dame pour laquelle j’ai beaucoup d’estime et il a fallu que je voie cette chambre polluée, en quelque sorte à cause de moi, quoique sans ma faute, par la présence des inspecteurs et du brigadier. Il était difficile de garder son sang-froid. J’y réussis cependant et je demandai au brigadier avec le plus grand calme – s’il était ici il serait obligé de le reconnaÃtre lui-même – pourquoi j’étais arrêté ? Que pensez-vous que me répondit alors cet homme – que je vois encore devant moi, assis sur la chaise de cette dame comme un symbole de l’orgueil stupide ? Messieurs, il ne me répondit rien peut-être, d’ailleurs, n’en savait-il vraiment pas plus ; il m’avait arrêté, cela lui suffisait. Plus fort ! il avait amené dans la chambre de cette dame trois employés subalternes de ma banque qui passèrent leur temps à tripoter et à déranger ses photographies. La présence de ces employés avait naturellement encore un autre but ils étaient destinés, tout comme ma logeuse et sa bonne, à répandre la nouvelle de mon arrestation, à nuire à ma réputation et à ébranler ma situation à la banque. Rien de tout cela n’a réussi, si faiblement que ce soit ; ma logeuse elle-même, une personne très simple – je veux la nommer ici afin de lui rendre hommage, elle s’appelle Mme Grubach – Mme Grubach elle-même a donc été assez raisonnable pour reconnaÃtre qu’une pareille arrestation n’a pas plus d’importance qu’une attaque exécutée dans la rue par des individus mal surveillés. Tout cela ne m’a causé, je le répète, que des désagréments passagers, mais les conséquences n’auraient-elles pas pu être pires ? » S’interrompant pour jeter un regard sur le juge d’instruction, K. remarqua que celui-ci faisait signe de l’œil à quelqu’un de la foule. Il sourit alors et dit  M. le Juge d’instruction est en train de donner à quelqu’un d’entre vous un signal secret. Il y a donc parmi vous des gens que l’on dirige d’ici. J’ignore si ce signal doit provoquer de votre part des huées ou des applaudissements, et je renonce volontairement, en trahissant prématurément la chose, à en connaÃtre la signification. Elle m’est parfaitement indifférente et j’accorde pleine licence à M. le Juge d’instruction pour donner ses ordres à haute voix à ses employés stipendiés au lieu d’user de signes secrets ; il n’a qu’à leur dire carrément “maintenant, sifflez”, ou “maintenant, applaudissez”. » Le juge d’instruction, impatient ou gêné, faisait aller et venir son siège. L’homme qui se tenait derrière lui, et avec lequel il s’était déjà entretenu précédemment, se pencha de nouveau vers lui, soit pour l’encourager d’une façon générale, soit pour lui donner un conseil particulier. En bas, les gens s’entretenaient à voix basse, mais vivement. Les deux partis, qui semblaient avoir été précédemment d’opinions si différentes, se réunirent quelques personnes se montraient K. du bout du doigt ; d’autres faisaient voir le juge. Les émanations de la salle formaient une vapeur importune ; elles empêchaient même de bien voir les gens qui se trouvaient au fond. Elles devaient surtout incommoder les spectateurs de la galerie, qui étaient obligés pour se tenir au courant, d’interroger le public d’en bas, ce qu’ils ne faisaient qu’à voix basse, après avoir jeté un regard inquiet du côté du juge d’instruction. Les réponses revenaient à voix tout aussi basse derrière la main que le questionné mettait en écran sur sa bouche.  Je vais avoir fini », dit K. en frappant du poing sur la table, car il n’y avait pas de sonnette. La tête du juge d’instruction et celle de son conseiller se séparèrent d’un seul coup dans le sursaut de leur effroi.  Cette affaire ne me touche pas ; je la juge donc de sangfroid et à supposer que vous attachiez quelque importance à ce prétendu tribunal, vous pouvez avoir grand avantage à m’écouter. Je vous prie donc de remettre à plus tard vos réflexions sur mes propos, car je ne dispose que de peu de temps et je vais repartir bientôt. » Le silence se fit immédiatement, tant K. était déjà maÃtre de l’assemblée. On ne criait plus comme au début, on n’applaudissait même plus et l’on semblait déjà convaincu ou en bonne voie de le devenir.  N’en doutons pas, messieurs, poursuivit K. tout bas, car il était heureux de jouir de l’attention passionnée de l’assemblée – il se produisait dans ce calme une sorte de bourdonnement plus excitant que les bravos les plus ravis – n’en doutons pas, messieurs, derrière les manifestations de cette justice, derrière mon arrestation par conséquent, pour parler de moi, et derrière l’interrogatoire qu’on me fait subir aujourd’hui, se trouve une grande organisation, une organisation qui non seulement occupe des inspecteurs vénaux, des brigadiers et des juges d’instruction stupides, mais qui entretient encore des juges de haut rang avec leur indispensable et nombreuse suite de valets, de scribes, de gendarmes et autres auxiliaires, peutêtre même de bourreaux, je ne recule pas devant le mot. Et maintenant le sens, messieurs, de cette grande organisation ? C’est de faire arrêter des innocents et de leur intenter des procès sans raison et, la plupart du temps aussi – comme dans mon cas – sans résultat. Comment, au milieu du non-sens de l’ensemble d’un tel système, la vénalité des fonctionnaires n’éclaterait-elle pas ?  Il est impossible, messieurs, qu’elle n’éclate pas au grand jour ! Le plus grand juge n’arriverait pas à l’étouffer, même pour lui ! Et c’est pourquoi les inspecteurs cherchent à voler les effets sur le dos de l’accusé, c’est pourquoi les brigadiers s’introduisent chez les gens, c’est pourquoi des innocents doivent se voir déshonorés devant des assemblées entières au lieu d’être interrogés normalement ! Les inspecteurs ne m’ont parlé que de dépôts dans lesquels on place la propriété des accusés ; je voudrais bien voir ces dépôts, où un avoir péniblement amassé croupit sans fruit en attendant d’être volé par des fonctionnaires criminels ! » K. fut interrompu par un glapissement venu du fond de la salle ; il mit sa main en visière sur ses yeux pour arriver à voir un peu, car la terne lueur du jour donnait un ton blanchâtre aux vapeurs de la salle et aveuglait quand on cherchait à voir. Le cri venait du côté de la laveuse dans laquelle K. avait reconnu, dès son entrée, un grave élément de désordre. Était-elle coupable cette fois-ci ? On ne pouvait pas s’en rendre compte. K. voyait seulement qu’un homme l’avait attirée dans un coin près de la porte et la pressait contre son corps. Mais ce n’était pas elle qui criait, c’était l’homme ; il avait la bouche grande ouverte et regardait au plafond. Un petit cercle s’était formé autour des acteurs de cette scène et les gens de la galerie semblaient ravis de cette diversion au sérieux que K. avait introduit dans l’assemblée. K., sous le coup de la première impression, voulut aller immédiatement rétablir l’ordre, pensant d’abord que tout le monde aurait à cÅ“ur de le soutenir et tout au moins de chasser le couple de la salle ; mais il se heurta dès les premiers rangs à des gens qui ne bougèrent pas et ne le laissèrent pas passer. Au contraire on l’en empêcha, et une main – il n’eut pas le temps de se retourner – le saisit même au col, dans le dos ; il cessa de penser au couple, il lui sembla qu’on cherchait à attenter à sa liberté et que son arrestation devenait vraiment sérieuse, aussi sauta-t-il d’un bond au pied de l’estrade. Il se trouvait maintenant face à face avec la foule. Avait-il mal jugé les gens ? Avait-il trop espéré de son discours ? Avait-on dissimulé tant qu’il avait parlé et les masques tombaient-ils maintenant qu’il s’agissait d’en venir aux actes ? Quelles têtes autour de lui ! De petits yeux noirs passaient dans la pénombre, les joues pendaient comme des joues d’ivrognes, les longues barbes étaient raides et rares, et quand on y portait la main c’était comme si on griffait le vide avec ses doigts, mais, sous les barbes – et ce fut là la vraie découverte de K. – des insignes de diverses tailles et de diverses couleurs brillaient sur les cols de ces gens. Tous semblaient porter ces insignes, tous faisaient partie du même clan, ceux de droite comme ceux de gauche, et, en se retournant brusquement, K. vit aussi les mêmes insignes au col du juge d’instruction qui, les mains croisées sur le ventre, regardait tranquillement la salle.  Ah ! ah ! s’écria K. en levant les bras au ciel, car cette subite découverte avait besoin de quelque espace pour s’exprimer. Vous êtes donc tous, à ce que je vois, des fonctionnaires de la justice, vous êtes cette bande de vendus dont je parlais, vous vous êtes réunis ici pour écouter et espionner, vous avez fait semblant de former des partis pour me tromper ; si vous applaudissiez, c’était pour me sonder vous vouliez savoir comment il faut s’y prendre pour induire un innocent en tentation. Eh bien ce n’était pas la peine ou bien vous vous êtes amusés de voir que quelqu’un attendait de vous la défense de l’innocence ou bien…  Laissez-moi ou je cogne ! » criat-il à un vieillard tremblotant qui s’était trop approché de lui ou bien vous avez réellement appris quelque chose ; je vous félicite de votre joli métier. » Il prit rapidement son chapeau sur le bord de la table et se hâta de gagner la sortie au sein du calme général, calme qui ne pouvait s’expliquer que par la plus complète surprise. Mais le juge d’instruction semblait avoir été encore plus prompt que K., car il l’attendait déjà à la porte.  Un instant », lui dit-il. K. s’arrêta, mais sans regarder le juge, il n’avait d’yeux que pour la porte dont il avait déjà saisi la poignée.  Je veux simplement, dit le juge, vous faire remarquer que vous vous êtes frustré vous-même aujourd’hui, sans avoir l’air de vous en rendre compte, de l’avantage qu’un interrogatoire représente toujours pour un accusé. » K. dit en regardant la porte  Bande de fripouilles que vous êtes ! s’écria-t-il, je vous fais cadeau de vos interrogatoires. » Puis il ouvrit, et descendit à toute allure l’escalier. Derrière lui, il entendit s’élever le bruit de l’assemblée qui se ranimait pour discuter les événements comme une classe qui commente un texte. Chapitre 3 DANS LA SALLE VIDE L’ÉTUDIANT LES GREFFES K. attendit de jour en jour la semaine suivante une nouvelle convocation ; il n’arrivait pas à imaginer qu’on eût pris au pied de la lettre son refus d’être interrogé, et, n’ayant encore rien reçu le samedi soir, il pensa qu’il était convoqué tacitement pour le dimanche, à la même heure et au même endroit. Il s’y rendit donc le lendemain et prit immédiatement cette fois les escaliers et les couloirs les plus directs quelques locataires se souvenant de lui, le saluèrent de leur seuil, mais il n’eut à demander son chemin à personne ; il ne tarda pas à arriver à la porte qui s’ouvrit dès qu’il eut frappé. Sans s’attarder à regarder la femme qui lui avait ouvert c’était celle de l’autre fois – et qui restait près de l’entrée, il allait se rendre dans la pièce voisine quand il s’entendit déclarer  Aujourd’hui, il n’y a pas de séance. – Pourquoi n’y aurait-il pas de séance ? » demanda-t-il incrédule. Mais la femme le convainquit en lui ouvrant la porte de la salle. La salle était réellement vide et, dans ce vide, elle avait l’air encore plus misérable que le dimanche précédent. La table, toujours sur l’estrade, supportait quelques gros bouquins.  Puis-je regarder ces livres ? demanda K. non par curiosité mais simplement pour pouvoir se dire qu’il n’était pas venu complètement en vain. – Non, dit la femme en refermant la porte, ce n’est pas permis ; ces livres appartiennent au juge d’instruction. – Ah ! ah ! voilà , fit K. en hochant la tête, ces livres sont sans doute des codes, et les procédés de notre justice exigent naturellement que l’on soit condamné non seulement innocent mais encore sans connaÃtre la loi. – C’est sans doute ça, dit la femme qui n’avait pas très bien compris. – Bien, alors je m’en vais, dit K. – Dois-je dire quelque chose à M. le juge d’instruction ? demanda la femme. – Vous le connaissez ? demanda K. – Naturellement, dit la femme, mon mari est huissier au tribunal. » Ce fut alors que K. remarqua que ce vestibule, où il n’y avait qu’un baquet de linge le dimanche précédent, était complètement aménagé en pièce d’habitation. La femme s’aperçut de son étonnement et dit  Oui, on nous loge ici gratis, mais nous devons déménager les jours de séance. La situation de mon mari offre bien des inconvénients. – Je suis moins surpris de la pièce, dit K. en la regardant avec malice, que d’apprendre que vous êtes mariée. – Faites-vous allusion, dit la femme, à l’incident par lequel j’ai mis fin à votre discours de la dernière séance ? – Évidemment, dit K. Aujourd’hui c’est passé et c’est déjà presque oublié ; mais, sur le moment, j’en ai été vraiment furieux. Et maintenant vous venez me dire que vous êtes une femme mariée ! – Si j’ai interrompu votre discours, cela ne pouvait vous nuire. On vous a jugé très mal une fois que vous êtes parti. – C’est possible, dit K. éludant le dernier point, tout cela ne vous excuse pas. – Je suis excusée aux yeux de tous ceux qui me connaissent, dit la femme, l’homme qui m’a embrassée dimanche dernier me poursuit déjà depuis longtemps. Je ne parais peut-être pas très séduisante, mais je le suis pour celui-là . Il n’y a rien à faire contre lui, mon mari a bien dû en prendre son parti ; s’il veut garder sa situation il faut qu’il en passe par là , car ce garçon est étudiant et arrivera probablement à une très haute situation. Il est toujours sur mes talons ; il venait à peine de partir au moment où vous êtes entré. – Je n’en suis pas surpris, dit K., cela ressemble bien au reste. – Vous cherchez peut-être à introduire ici des réformes ? demanda la femme lentement et avec un air scrutateur, comme si elle disait une chose qui pût être aussi dangereuse pour elle que pour K. C’est ce que j’avais déjà conclu de votre discours qui m’a personnellement beaucoup plu, quoique je n’en aie entendu qu’une partie, car, au début, j’étais absente et à la fin j’étais couchée sur le plancher avec l’étudiant… C’est si dégoûtant, ici ! ditelle au bout d’un moment en prenant la main de K. Pensez-vous que vous réussirez à obtenir des améliorations ? » K. sourit en tournant légèrement sa main dans les mains douces de la jeune femme.  À vrai dire, fit-il, je ne suis pas chargé d’obtenir ici des améliorations, comme vous dites, et si vous en parliez à quelqu’un, au juge d’instruction, par exemple, vous vous feriez moquer de vous ; je ne me serais jamais mêlé de ces choses-là de mon plein gré et le besoin d’améliorer cette justice n’a jamais troublé mon sommeil. Mais, ayant été arrêté, car je suis arrêté, j’ai bien été forcé de m’en mêler pour mon propre compte. Si je pouvais par la même occasion vous être utile en quoi que ce fût, je le ferais naturellement très volontiers, non seulement par amour du prochain, mais aussi parce qu’à votre tour vous pouvez me rendre service. – En quoi ? lui demanda la femme. – En me montrant, par exemple, maintenant, les livres qui sont sur la table. – Mais bien sûr ! » s’écria la femme en le faisant entrer en hâte derrière elle. Les livres dont il s’agissait étaient de vieux bouquins usés ; l’un d’entre eux avait une reliure presque en lambeaux dont les morceaux ne tenaient plus que par des fils.  Que tout est sale ici ! » dit K. en hochant la tête. La femme épousseta les livres du coin de son tablier avant que K. mÃt la main dessus. Il prit le premier qui se présenta, l’ouvrit et aperçut une gravure indécente. Un homme et une femme nus étaient assis sur un canapé ; l’intention du graveur était visiblement obscène, mais il avait été si maladroit qu’on ne pouvait guère voir là qu’un homme et une femme assis avec une raideur exagérée, qui semblaient sortir de l’image et n’arrivaient à se regarder qu’avec effort par suite de l’inexactitude de la perspective. K. n’en feuilleta pas davantage ; il se contenta d’ouvrir le second livre à la page du titre ; il s’agissait là d’un roman intitulé Tourments que Marguerite eut à souffrir de son mari.  Voilà donc, dit K., les livres de loi que l’on étudie ici ! Voilà les gens par qui je dois être jugé ! – Je vous aiderai, voulez-vous ? dit la femme. – Pouvez-vous le faire vraiment sans vous mettre vousmême en danger ? N’était-ce pas vous qui disiez à l’instant que votre mari avait à craindre ses supérieurs ? – Je vous aiderai tout de même, dit la femme ; venez, il faut que nous en causions. Ne me parlez plus de mes risques ; je ne crains le danger que quand je veux. » Elle lui montra l’estrade et le pria de s’asseoir avec elle sur la marche.  Vous avez de beaux yeux noirs, dit-elle quand ils furent installés, en regardant d’en bas le visage de K. On me dit que j’ai de beaux yeux, moi aussi, mais les vôtres sont bien plus beaux. Je les ai d’ailleurs remarqués tout de suite, la première fois que vous êtes venu ; c’est même à cause d’eux que je suis entrée ensuite dans la salle de réunions, ce que je ne fais jamais d’ordinaire et ce qui m’est même en quelque sorte défendu. »  Voilà donc tout le mystère, pensa K. Elle s’offre à moi, elle est aussi corrompue que tous les autres ici ; elle a assez des gens de justice, ce qui est facile à comprendre, et elle s’adresse au premier venu en lui faisant compliment de ses yeux. » Et il se leva sans mot dire, comme s’il avait pensé tout haut et expliqué ainsi sa conduite à la femme.  Je ne crois pas, dit-il, que vous puissiez m’aider ; pour m’aider vraiment il faudrait être en relation avec de hauts fonctionnaires, or, vous ne voyez probablement que les employés subalternes qui vont et viennent en foule ici. Ceux-là , certainement vous les connaissez bien et vous obtiendriez peut-être beaucoup d’eux, mais les plus grands services que vous pourriez leur faire rendre n’avanceraient en rien l’issue définitive de mon procès, vous n’auriez réussi qu’à vous aliéner de gaieté de cÅ“ur quelques amis, et c’est ce que je ne veux pas. Continuez à voir ces gens comme toujours ; il me semble en effet qu’ils vous sont indispensables ; je ne vous parle pas ainsi sans regret, car, pour répondre à votre compliment, je vous avouerai moi aussi que vous me plaisez, surtout quand vous me regardez avec cet air si triste, que rien ne motive d’ailleurs. Vous faites partie du groupe de gens que je dois combattre, mais vous vous y trouvez fort bien, vous aimez même l’étudiant, ou tout au moins vous le préférez, à votre mari, c’est une chose facile à lire dans vos paroles. – Non, s’écria-t-elle toujours assise, et elle saisit la main de K. d’un geste si rapide qu’il ne put l’éviter. Vous ne pouvez pas partir maintenant ; vous n’avez pas le droit de partir sur un jugement faux ; pourriez-vous réellement partir en cet instant ? Suis-je vraiment si insignifiante que vous ne vouliez même pas me faire le plaisir de rester avec moi un petit moment ? – Vous m’avez mal compris, dit K. en se rasseyant. Si vous tenez vraiment à ce que je reste, je le ferai volontiers, j’en ai le temps puisque je venais ici dans l’espoir d’un interrogatoire. Ce que je vous ai dit n’était que pour vous prier de n’entreprendre aucune démarche en ma faveur. Et il n’y a là rien qui puisse vous blesser si vous voulez bien songer que l’issue du procès m’est totalement indifférente et que je me moque d’être condamné, à supposer évidemment que le procès finisse un jour réellement, ce qui me paraÃt fort douteux ; je crois plutôt que la paresse, la négligence ou même la crainte des fonctionnaires de la justice les a déjà amenés à cesser l’instruction ; sinon cela ne tardera pas ; il est possible aussi qu’ils poursuivent l’affaire dans l’espoir d’un gros pot-de-vin ; mais ils en seront pour leur peine, je peux le dire d’ores et déjà , car je ne soudoierai personne. Vous pourriez peut-être me rendre service en disant au juge d’instruction, ou à tout autre personnage qui aime à répandre les nouvelles importantes, que nul des tours de force que ces messieurs emploient sans doute en abondance ne m’amènera jamais à soudoyer quelqu’un. Ce serait peine absolument perdue, vous le leur direz carrément. D’ailleurs, ils s’en sont peutêtre déjà aperçus tout seuls, et, même s’ils ne l’ont pas fait, je n’attache pas tellement d’importance à ce qu’on l’apprenne maintenant. Cela ne ferait que leur épargner du travail ; il est vrai que j’éviterais ainsi quelques petits désagréments, mais je ne demande pas mieux que d’essuyer ces légers ennuis pourvu que je sache que les autres en subissent le contrecoup ; et je veillerai à ce qu’il en soit ainsi. Connaissez-vous le juge d’instruction ? – Naturellement, dit la femme, c’est à lui que je pensais surtout quand je vous offrais de vous aider. J’ignorais qu’il ne fût qu’un employé subalterne, mais puisque vous me le dites c’est probablement exact. Je crois que le rapport qu’il fournit à ses chefs a tout de même une certaine influence. Il écrit tant de rapports ! Vous dites que les fonctionnaires sont paresseux, mais ce n’est sûrement pas vrai de tous, et surtout pas de celui-là ; il écrit énormément. Dimanche dernier, par exemple, la séance a duré jusqu’au soir. Tout le monde est parti, mais il est resté là ; il a fallu de la lumière, je n’avais qu’une petite lampe de cuisine, il s’en est déclaré satisfait et il s’est mis tout de suite à écrire. Mon mari, qui avait justement congé ce jour-là , était revenu entre-temps ; nous sommes allés chercher nos meubles et nous avons réemménagé ; il est venu encore des voisins et nous avons fait la causette à la lueur d’une bougie ; bref, nous avons oublié le juge et nous sommes allés nous coucher. Tout à coup, au milieu de la nuit, il devait être déjà très tard, je me réveille et je vois le juge à côté de mon lit ! Il tenait sa main devant la lampe pour empêcher la lumière de tomber sur mon mari ; c’était une précaution inutile, car mon mari a un tel sommeil que la lumière ne l’aurait jamais réveillé. J’étais si effrayée que j’en aurais crié ; mais le juge d’instruction a été très aimable, il m’a exhortée à la prudence, il m’a soufflé à l’oreille qu’il avait écrit jusqu’alors, qu’il me rapportait la lampe et qu’il n’oublierait jamais le spectacle que je lui avais offert dans mon sommeil. Tout cela n’est que pour vous dire que le juge d’instruction écrit vraiment beaucoup de rapports, surtout sur vous, car c’est votre interrogatoire qui a fourni la matière principale de la dernière séance de deux jours. Des rapports aussi longs ne peuvent tout de même pas rester sans aucune importance ; vous voyez aussi, d’après cet incident, que le juge d’instruction me fait la cour et que je peux avoir une grosse influence sur lui, surtout maintenant, les premiers temps, car il n’a dû me remarquer que tout dernièrement. Il tient beaucoup à moi, j’en ai eu d’autres preuves. Il m’a, en effet, envoyé hier, par l’étudiant, qui est son confident et son collaborateur, une paire de bas de soie pour que je nettoie la salle des séances ; mais ce n’était qu’un prétexte, car ce travail entre déjà obligatoirement dans les attributions de mon mari, on le paie pour cela. Ce sont de très beaux bas, regardez – et elle relevait les jambes pour les voir ellemême – ce sont de très beaux bas, trop même, ils ne sont pas faits pour moi. » Elle s’interrompit brusquement et posa sa main sur celle de K. comme pour le rassurer, tandis qu’elle lui chuchotait  Attention, Bertold nous regarde. » K. leva lentement les yeux. Un jeune homme se tenait à la porte de la salle ; il était petit, il avait les jambes tortes et il portait toute sa barbe, une courte barbe rousse et rare dans laquelle il promenait ses doigts à tout instant pour se donner de la dignité. K. le regarda curieusement ; c’était la première fois qu’il rencontrait pour ainsi dire humainement un étudiant spécialisé dans cette science juridique qu’il ignorait complètement, un homme qui parviendrait probablement un jour à une très haute fonction. L’étudiant, lui, ne sembla pas s’inquiéter de K. le moins du monde ; il fit un simple signe à la femme en sortant une seconde un de ses doigts de sa barbe et alla se mettre à la fenêtre ; la femme se pencha vers K. et lui souffla  Ne m’en veuillez pas, je vous en prie, et ne me jugez pas mal non plus ; il faut que j’aille le retrouver, cet être horrible ; voyez-moi ces jambes tordues ! Mais je vais revenir tout de suite et je vous suivrai où vous voudrez ; j’irai où vous désirerez, vous ferez de moi ce qu’il vous plaira, je ne demande qu’à partir d’ici pour le plus longtemps possible, et tant mieux si je n’y reviens jamais ! » Elle caressa encore la main de K., se leva en hâte et courut à la fenêtre. Machinalement K. fit un geste dans le vide pour chercher à saisir la main de la laveuse, mais elle était déjà partie. Cette femme le tentait vraiment ; et, malgré toutes ses réflexions, il ne trouvait pas de raison valable de ne pas céder à la tentation. Il eut bien un instant l’idée qu’elle cherchait peut-être à le prendre dans ses filets pour le livrer à la justice, mais ce fut une objection qu’il détruisit sans peine. De quelle façon pourrait-elle bien le prendre ? Ne restait-il pas toujours assez libre pour anéantir d’un seul coup toute la justice, au moins en ce qui le concernait ? Ne pouvait-il se faire cette minime confiance ? Et puis cette femme avait bien l’air de demander sincèrement de l’aide, et cela pouvait être utile. Il n’y avait peut-être pas mieux à se venger du juge d’instructions et de toute sa séquelle qu’en lui enlevant cette femme et en la prenant pour son compte. Il se pourrait alors qu’un jour, après avoir longuement travaillé à des rapports menteurs sur K., le juge d’instruction, au beau milieu de la nuit, trouvât le lit de la femme vide. Et vide parce qu’elle appartiendrait à K., parce que cette femme, qui se tenait à la fenêtre en ce moment, ce grand corps souple et chaud, vêtu d’un vêtement noir d’une étoffe lourde et grossière, n’appartiendrait absolument qu’à lui. Après avoir dissipé de cette façon les préventions qu’il nourrissait contre elle, il commença à trouver que le dialogue durait bien longtemps à la fenêtre et se mit à frapper sur l’estrade, d’abord des doigts, puis du poing. L’étudiant lui jeta un rapide coup d’œil par-dessus l’épaule de la femme, mais ne se dérangea pas et ne la serra que plus fort. Elle pencha la tête très bas comme si elle l’écoutait avec grande attention, et il profita de ce geste pour l’embrasser bruyamment dans le cou sans interrompre son discours réellement. K. crut y voir une confirmation de ce qu’elle disait elle-même au sujet de la tyrannie avec laquelle l’étudiant la traitait ; il se leva et se mit à faire les cent pas. Il se demandait comment il pourrait chasser l’étudiant le plus rapidement possible ; aussi ne fut-il pas mécontent que l’autre, impatienté sans doute par cette promenade qui dégénérait par moments en trépignements, lui lançât cette observation  Si vous êtes pressé, rien ne vous empêche de partir. Vous auriez pu le faire plus tôt, personne ne vous aurait regretté ; vous auriez même dû le faire, et dès mon entrée, et en vitesse ! » Quelque fureur que cette sortie manifestât elle marquait aussi tout l’orgueil du futur fonctionnaire de la justice parlant à un quelconque accusé. K. s’arrêta tout près de lui en lui dit en souriant  Je suis impatient, c’est exact, mais la meilleure façon de calmer cette impatience sera que vous nous laissiez là . Si vous êtes venu pour étudier ici – car on m’a dit que vous êtes étudiant – je ne demande pas mieux que de vous laisser la place et de m’en aller avec cette femme. Il faudra que vous étudiiez d’ailleurs encore pas mal de temps avant de devenir juge ; je ne connais pas très bien votre justice, mais je pense qu’elle ne se contente pas des discours insolents dans lesquels vous vous montrez si fort. – On n’aurait pas dû le laisser en liberté, dit l’étudiant comme pour expliquer à la femme les offensantes paroles de K. C’était une maladresse. Je l’ai dit au juge d’instruction. On aurait dû au moins le faire rester chez lui entre les interrogatoires. Il y a des moments où je ne comprends pas le juge. – Pas tant de discours, dit K. en tendant la main vers la femme. Vous, arrivez ! – Ah ! ah ! voilà ! dit l’étudiant. Non, non, celle-là vous ne l’aurez pas. » Et, enlevant son amie sur un bras avec une force qu’on ne lui aurait jamais supposée, il se dirigea, le dos baissé, vers la porte, en jetant de temps à autre un regard de tendresse sur son fardeau. Cette fuite marquait indéniablement une certaine crainte de K. et cependant il eut l’audace de chercher encore à l’exciter en caressant et pressant le bras de la femme de sa main libre. K. fit quelques pas à ses côtés, prêt à le saisir et, s’il fallait, à l’étrangler, mais la laveuse lui dit alors  Il n’y a rien à faire – et elle passait sa main sur le visage de l’étudiant – cette petite horreur ne me lâchera pas. – Et vous ne voulez pas qu’on vous délivre ? s’écria K. en posant sur l’épaule de l’étudiant une main que l’autre chercha à mordre. – Non, s’écria la femme en repoussant K. des deux mains, non, non, surtout pas ça ! À quoi pensez-vous donc ? Ce serait ma perte. Laissez-le donc, je vous en prie, laissez-le donc, il ne fait qu’exécuter l’ordre du juge d’instruction en me portant à lui. – Eh bien, qu’il file ! et vous, que je ne vous voie plus ! » dit K. furieux de déception en assénant dans le dos de l’étudiant un coup qui le fit chanceler. Mais, tout heureux de n’être pas tombé, l’autre n’en courut que plus vite avec son fardeau sur les bras… K. les suivit lentement ; il reconnaissait que c’était la première défaite irréfutable qu’il essuyait auprès de ces gens. Mais il n’y avait pas lieu de s’en inquiéter ; s’il l’avait essuyée, c’était uniquement pour avoir provoqué le combat. S’il restait chez lui et continuait son existence ordinaire, il leur resterait mille fois supérieur et pourrait les écarter de son chemin d’un coup de pied. Il se représentait la belle scène grotesque que pourrait créer, par exemple, le spectacle de ce pitoyable étudiant, de ce morveux gonflé de soi, de ce mal bâti porteur de barbe, à genoux devant le lit d’Elsa et joignant les mains pour demander pardon. Cette idée lui plaisait tant qu’il décida de le conduire chez elle à la première occasion. Il gagna la porte par curiosité pour voir où l’on menait la femme, car l’étudiant ne la porterait tout de même pas sur son bras dans les rues. Mais il n’eut pas à aller bien loin. On apercevait juste en face de la porte un étroit escalier de bois qui devait conduire aux mansardes un tournant empêchait de voir où il menait. Ce fut dans cet escalier que l’étudiant s’engagea avec la femme dans ses bras, lentement, et soufflant déjà , car il était affaibli par sa course. La femme lança à K. un bonjour de la main et chercha à lui montrer en haussant les épaules à plusieurs reprises qu’elle n’était pas responsable de cet enlèvement, mais ce mouvement ne trahissait pas grand regret. K. la regarda sans expression, comme une femme qu’il n’eût pas connue il ne voulait ni se montrer déçu ni faire voir qu’il pouvait surmonter facilement sa déception. Les deux fuyards avaient déjà disparu qu’il restait encore sur le seuil. Il était bien obligé de voir que la femme l’avait trompé, et doublement, en alléguant qu’on l’emportait chez le juge, car le juge ne l’eût tout de même pas attendue dans un grenier ! L’escalier de bois n’expliquait rien, si longtemps qu’on l’interrogeât. K. remarqua près de la montée un petit écriteau qu’il courut voir et sur lequel on pouvait lire cette inscription tracée d’une maladroite écriture d’enfant  Escalier des archives judiciaires. » Les archives de la justice se trouvaient donc dans le grenier de cette caserne de rapport ! Ce n’était pas une installation de nature à inspirer grand respect et rien ne pouvait mieux rassurer un accusé que de voir le peu d’argent dont disposait cette justice qui était obligée de loger ses archives à l’endroit où les locataires de la maison, pauvres déjà parmi les pauvres, jetaient le rebut de leurs objets. À vrai dire, il était possible aussi qu’elle eût assez d’argent, mais que les employés se précipitassent dessus avant qu’elle n’eût pu s’en servir pour les affaires de la justice. C’était même très vraisemblable d’après ce que K. avait vu jusqu’ici, mais cette corruption, bien qu’un peu déshonorante pour l’accusé, était au fond encore plus rassurante que ne l’eût été la pauvreté du tribunal. K. comprenait maintenant que la justice rougÃt de faire venir l’inculpé dans un grenier pour le premier interrogatoire et qu’elle préférât aller le tarabuster dans sa propre maison. Quelle supériorité K. n’avait-il pas sur ce juge qu’on installait dans un grenier, alors qu’il disposait, lui, à la banque, d’une grande pièce précédée d’un vestibule et pourvue d’une immense fenêtre qui s’ouvrait sur la place la plus animée de la ville ! Évidemment il n’avait pas les bénéfices accessoires des pots-de-vin et il ne pouvait pas se faire servir par son groom une femme dans son bureau. Mais il y renonçait volontiers, tout au moins pour cette vie. Il était encore planté devant la pancarte quand un homme monta l’escalier, regarda par la porte ouverte dans la pièce – d’où l’on apercevait aussi la salle des séances – et demanda finalement à K. s’il n’avait pas vu une femme là quelques instants auparavant.  Vous êtes sans doute l’huissier ? dit K. – Oui, répondit l’homme, mais vous, n’êtes-vous pas l’accusé K. ? Je vous reconnais maintenant, moi aussi ; soyez le bienvenu. » Et il tendit sa main à K. qui ne s’y attendait pas du tout.  Il n’y a pas de séance aujourd’hui, ajouta-t-il devant le silence de K. – Je sais, dit K. en regardant le costume civil de l’huissier – il ne portait d’autre insigne professionnel que deux boutons dorés qui avaient l’air d’avoir été enlevés à un vieux manteau d’officier. – J’ai parlé à votre femme il n’y a qu’un instant ; mais elle n’est plus là , l’étudiant l’a portée au juge d’instruction. – Et voilà , dit l’huissier, on me l’emporte tout le temps. C’est pourtant dimanche aujourd’hui ! Je ne suis tenu à aucun travail, mais on m’envoie faire des commissions inutiles, rien que pour m’éloigner d’ici. Et on prend soin, par-dessus le marché, de ne pas m’envoyer bien loin pour que je puisse me figurer que je serai de retour à temps. Je me dépêche donc tant que je peux, je crie mon message par la porte à l’intéressé avec un tel essoufflement que c’est à peine s’il me comprend, je reviens à toute vitesse, mais l’étudiant a fait encore plus vite que moi ! C’est que son chemin n’est pas si long, il n’a que l’escalier du grenier à descendre. Si j’étais moins esclave, il y a longtemps que je l’aurais écrasé contre ce mur, ici, à côté de la pancarte. J’en rêve tout le temps… Ici, là , au-dessus du plancher, le voilà aplati, cloué, les bras en croix, les doigts écarquillés, les jambes tordues en rond, et des éclaboussures de sang tout autour. Mais jusqu’ici c’est resté un rêve. – Il n’y a pas d’autre moyen ? demanda K. en souriant. – Je n’en vois pas, répondit l’huissier. Et c’est devenu encore pire jusqu’ici il se contentait d’emporter ma femme chez lui, mais maintenant, comme je m’y attendais depuis longtemps, il la porte au juge d’instruction. – Votre femme n’a-t-elle donc aucune responsabilité là dedans ? demande K. en se faisant violence tant la jalousie se mettait à le travailler lui aussi. – Mais si ! Bien sûr ! répondit l’huissier. C’est même elle la plus coupable. Elle s’est jetée à son cou. Lui, il court après toutes les femmes. Dans cette seule maison on l’a déjà mis à la porte de cinq ménages dans lesquels il s’était glissé. Malheureusement c’est ma femme qui est la plus belle de tout l’immeuble et c’est justement moi qui peux le moins me défendre. – S’il en est ainsi, dit K., il n’y a évidemment rien à faire. – Pourquoi donc ? demanda l’huissier. Il faudrait donner une bonne fois à cet étudiant, qui est un lâche, une telle rossée, quand il voudrait toucher ma femme, qu’il ne recommencerait jamais. Mais moi je n’en ai pas le droit et nul autre ne veut me faire ce plaisir, car tout le monde craint son pouvoir. Il faudrait quelqu’un comme vous. – Pourquoi donc ? demanda K. étonné. – Mais parce que vous êtes accusé ! répondit l’huissier. – Sans doute, dit K., mais c’est précisément pourquoi je devrais craindre qu’il ne se venge en influant, sinon sur l’issue du procès, tout au moins sur son instruction. –Évidemment, dit l’huissier comme si le point de vue de K. était aussi juste que le sien. Mais en règle générale, on n’intente pas chez nous de procès qui ne puisse mener à rien. – Je ne suis pas de votre avis, dit K., mais cela ne m’empêchera pas de m’occuper à l’occasion de l’étudiant. – Je vous en serais très reconnaissant », dit l’huissier un peu cérémonieusement, mais il n’avait pas l’air de croire que son suprême désir pût jamais se réaliser.  Il y a peut-être, dit K., bien d’autres employés qui mériteraient le même traitement, peut-être tous ! – Mais oui, mais oui », répondit l’huissier comme s’il s’agissait d’une chose toute naturelle. Puis il regarda K. avec plus de confiance qu’il ne lui en avait encore jamais témoignée malgré toute se cordialité, et ajouta  Tout le monde se révolte en ce moment. » Mais l’entretien semblait lui être devenu un peu pénible, car il l’interrompit en disant  Il faut que je me présente au bureau ; voulez-vous venir avec moi ? – Je n’ai rien à faire là -bas, dit K. – Vous pourriez regarder les archives, personne ne s’inquiétera de vous. – Y a-t-il donc quelque chose de curieux à y voir ? demande K. en hésitant, mais avec une grande envie d’accepter. – Ma foi, lui répondit l’huissier, je pensais que cela vous intéresserait. – Soit, dit K. finalement, je vous suis. » Et il monta l’escalier encore plus vite que l’huissier. Il faillit tomber en entrant, car il y avait encore une marche derrière la porte.  On n’a guère, dit-il, d’égards pour le public. – On n’en a aucun, dit l’huissier, vous n’avez qu’à voir cette salle d’attente. » C’était un long couloir où des portes grossières s’ouvraient sur les diverses sections du grenier. Bien que nul jour ne donnât là directement, il ne faisait pas complètement noir, car, au lieu d’être séparés du couloir par une paroi hermétique, bien des bureaux ne présentaient de ce côté qu’une sorte de grillage de bois qui laissait passer un peu la lumière et par lequel on pouvait voir les employés en train d’écrire à leurs pupitres ou debout contre la claire-voie et occupés à observer les gens qui passaient. Le public de la salle d’attente était d’ailleurs très restreint, à cause du dimanche ; il faisait un effet très modeste ; il était réparti presque régulièrement sur les bancs de bois disposés de chaque côté du couloir. Tous ces gens-là étaient vêtus négligemment, quoique la plupart, à en juger par leur physionomie, leur tenue, la coupe de leur barbe et mille impondérables, appartinssent aux meilleures classes de la société. Comme il n’y avait pas de portemanteaux, ils avaient déposé leurs chapeaux sous les bancs, chacun suivant sans doute en cela l’exemple des prédécesseurs. En voyant venir K. et l’huissier, ceux qui étaient le plus près de la porte se levèrent pour les saluer, ce que voyant les autres se crurent tenus aussi d’en faire autant, de sorte que tout le monde se leva au passage de ces deux messieurs. Personne d’ailleurs ne se redressait complètement, les dos restaient courbés et les genoux pliés on aurait cru à des mendiants de coin de rue. K. attendit l’huissier qu’il avait précédé et lui dit  Qu’ils ont dû recevoir d’humiliations ! – Oui, dit l’huissier, ce sont des accusés ; tous les gens que vous voyez là sont des accusés. – Vraiment, dit K., ce sont donc mes collègues ? » Et, s’adressant au plus près de lui, un grand homme maigre déjà presque grisonnant, il lui demanda poliment  Qu’attendez-vous ici, monsieur ? » Mais cette interpellation inattendue déconcerta l’homme d’une façon d’autant plus pénible à voir qu’il s’agissait visiblement de quelqu’un qui connaissait le monde, qui devait être très maÃtre de lui en tout autre lieu et qui ne devait pas oublier facilement la supériorité qu’il s’était acquise sur les autres. Ici, il ne sut que répondre à une aussi simple question et il se mit à regarder ses compagnons comme s’ils eussent été tenus de l’aider et que personne ne pût exiger de lui aucune réponse tant que nul secours ne lui viendrait. L’huissier intervint alors et dit à l’homme pour le rassurer et l’encourager  Ce monsieur vous demande simplement ce que vous attendez. Répondez donc ! » La voix de l’huissier, plus familière sans doute à l’homme, obtint un meilleur résultat  J’attends… », commença-t-il, puis il s’arrêta net. Il avait visiblement choisi son début pour répondre de façon précise à la question posée, mais la suite ne lui vint pas. Quelques accusés s’étaient rapprochés et entouraient le groupe ; l’huissier leur dit  Filez, filez, débarrassez le passage. » Ils reculèrent légèrement, mais sans rejoindre leurs anciennes positions. Cependant, l’homme interrogé avait eu le temps de se ressaisir ; il sourit même en répondant  J’ai envoyé il y a un mois quelques requêtes à la justice et j’attends que l’on s’en occupe. – Vous avez l’air de vous donner beaucoup de mal, dit K. – Oui, fit l’homme, n’est-ce pas mon affaire ? – Tout le monde, dit K., ne pense pas comme vous ; voyez, moi, je suis accusé, mais aussi vrai que je veux aller au ciel, je n’ai jamais produit ni documents ni quoi que ce fût. Pensez-vous que ce soit nécessaire ? – Je ne sais pas au juste », dit l’homme, complètement dérouté à nouveau. Il croyait visiblement que K. voulait plaisanter ; aussi eûtil sans doute préféré revenir complètement sur son ancienne réponse par crainte d’une nouvelle bévue, mais, devant le regard impatient de K., il se contenta de dire  En ce qui me concerne, j’ai produit des documents. – Vous n’avez pas l’air de croire que je suis accusé, dit K. – Oh ! si, monsieur ! bien sûr ! fit l’homme en s’effaçant légèrement sur le côté, mais sa réponse témoignait de plus de crainte que de foi. – Vous ne me croyez pas ? » demanda K. Et, inconsciemment provoqué à ce geste par l’humilité de l’homme, il le saisit par le bras comme pour l’obliger à croire. Il ne voulait pas lui faire de mal et ne l’avait touché que très légèrement, mais l’homme poussa un hurlement comme si K. l’avait saisi avec des tenailles rougies au feu au lieu de l’effleurer du doigt. Ce cri ridicule acheva d’excéder K. ; si on ne croyait pas qu’il était accusé, c’était tant mieux après tout ; peut-être même l’homme le tenait-il pour un juge ; en guise d’adieu, il le serra plus fort, le repoussa jusque sur le banc et s’en alla.  La plupart des accusés sont horriblement sensibles ! » dit l’huissier. Derrière eux, presque tous les gens qui attendaient se groupèrent autour de l’homme qui avait déjà cessé de crier et semblèrent l’interroger sur les détails de l’incident. K. vit alors venir un gendarme qu’on reconnaissait surtout à son sabre dont le fourreau, à en juger du moins sur la couleur, devait être en aluminium. K. en fut si étonné qu’il tâta l’arme pour savoir. Le gendarme, qui avait été attiré par le cri de l’accusé, demanda ce qui s’était passé. L’huissier chercha à le rassurer en quelques mots, mais le gendarme déclara qu’il devait aller se rendre compte par lui-même, salua et partit à petits pas rapides c’était sans doute la goutte qui rendait ses pas si brefs. K. ne s’inquiéta pas longtemps de lui ni des gens du couloir, car il découvrit vers le milieu un passage sans porte qui lui permettait d’obliquer à droite. Il demanda à l’huissier si c’était là le bon chemin, l’huissier lui fit oui de la tête et K. s’engagea dans le passage. Il lui était pénible d’être toujours obligé de précéder d’un ou deux pas son compagnon, car cette façon de marcher pouvait le faire prendre, au moins ici, pour un criminel qu’on amène au juge. Il attendait donc fréquemment son guide, mais celui-ci reprenait toujours un léger retard. Pour couper court à ce malaise, K. finit par déclarer  J’en ai assez vu, maintenant je voudrais partir. – Vous n’avez pas encore tout vu, dit l’huissier avec une désespérante candeur. – Je ne veux pas tout voir, dit K. qui se sentait d’ailleurs réellement fatigué, je veux m’en aller ; par où sort-on ? – Vous n’êtes tout de même pas perdu ? demande l’huissier étonné. Vous n’avez qu’à tourner au coin et à reprendre le couloir jusqu’à la porte. – Venez avec moi, dit K. ; montrez-moi le chemin, autrement je me tromperai ; il y en a tant ! – Mais c’est le seul ! dit l’huissier d’un ton déjà réprobateur. Je ne peux pas revenir avec vous, il faut que je porte mon message, et j’ai déjà perdu beaucoup de temps pour vous. – Suivez-moi, répéta K. violemment, comme s’il venait de prendre l’huissier en flagrant délit de mensonge. – Ne criez donc pas comme ça ! souffla l’huissier, c’est plein de bureaux partout ; si vous ne voulez pas revenir tout seul, accompagnez-moi encore un instant, ou bien attendez ici que j’aie fait ma commission. – Non ! non ! dit K., je n’attends pas ; il faut me suivre tout de suite. » Il n’avait pas encore eu le temps d’inspecter l’endroit où il se trouvait ; ce ne fut qu’en voyant s’ouvrir une des nombreuses portes de bois qui l’entouraient qu’il examina les lieux. Une jeune fille, attirée sans doute par son cri, se présenta Que désirait monsieur ? Derrière elle, on voyait au loin un homme qui s’avançait aussi dans la pénombre. K. regarda l’huissier ; cet individu lui avait pourtant déclaré que personne ne s’inquiétait de lui ! Maintenant il avait déjà deux bureaucrates sur les bras ! Un peu plus, tous les employés viendraient lui tomber sur le dos pour lui demander ce qu’il faisait. La seule explication plausible qu’il pût donner de sa présence révélerait sa qualité d’accusé ; il lui faudrait dire la date du prochain interrogatoire ; et c’était justement ce qu’il ne voulait pas, car il n’était venu que par curiosité, ou – explication encore plus impossible à donner – guidé par le désir de constater que l’intérieur de cette justice était aussi répugnant que ses dehors ; et il lui semblait bien ne s’être pas trompé ; il ne voulait pas aller plus loin, il en avait assez, il se sentait suffisamment oppressé par ce qu’il avait vu jusque-là ; il ne serait déjà plus en état de faire face à la situation s’il rencontrait un des hauts fonctionnaires qui pouvaient surgir à tout moment de la première porte venue ; il voulait s’en aller, partir avec l’huissier, ou même seul s’il le fallait. Mais son silence devait être surprenant, car la jeune fille et l’huissier s’étaient pris à le regarder comme s’il allait être incessamment l’objet de quelque grande transformation dont ils ne voulussent pas perdre le spectacle ; l’homme que K. avait vu de loin était arrivé lui aussi jusqu’à la porte ; il s’était appuyé des deux mains à la traverse et se balançait sur la pointe des pieds comme un spectateur impatient. La jeune fille fut la première à reconnaÃtre que l’attitude de K. était causée par un malaise, elle lui apporta un fauteuil et lui demanda  Ne voulez-vous pas vous asseoir ? » K. s’assit aussitôt et, pour mieux se tenir, appuya même les bras sur les deux accoudoirs.  Vous éprouvez un peu de vertige, n’est-ce pas ? » dit la jeune fille. Il voyait maintenant sa figure tout près de lui ; elle avait cette expression sévère que possèdent beaucoup de femmes dans leur plus belle jeunesse.  Ne vous inquiétez pas de ce malaise, dit-elle, il n’a rien d’extraordinaire ici ; on éprouve presque toujours une crise de ce genre quand on met les pieds ici pour la première fois. C’est bien la première fois que vous venez ? Oui ? Alors, comme je vous le dis, ce n’est rien que de très courant. Le soleil chauffe tellement le toit ! et les poutres sont brûlantes ; c’est ce qui rend l’air si lourd et si oppressant. Ce n’est pas un endroit bien fameux pour y installer des bureaux malgré tous les avantages qu’il présente par ailleurs. Il y a des jours, ceux de grandes séances – et c’est souvent – où l’air est à peine respirable. Si vous songez aussi que tout le monde vient faire sécher son linge ici – on ne peut pas en empêcher complètement les locataires – vous ne trouverez rien d’étonnant à votre petit malaise. Mais on finit par s’habituer parfaitement à l’atmosphère de l’endroit. Quand vous reviendrez pour la deuxième ou troisième fois, vous ne sentirez presque plus cette oppression ; ne vous trouvez-vous pas déjà mieux ? » K. ne répondit pas ; il était trop gêné de se sentir livré à ces gens par cette soudaine faiblesse ; d’ailleurs, depuis qu’il savait les causes de son mal, loin d’aller mieux, il se sentait un peu plus faible. La jeune fille s’en aperçut immédiatement ; pour soulager un peu le malade elle prit un harpon posé contre le mur et ouvrit juste au-dessus de K. une lucarne qui donnait en plein ciel. Mais il en tomba tant de suie qu’elle la referma immédiatement et dut essuyer de son mouchoir les mains de K., trop fatigué pour le faire lui-même ; il serait volontiers resté tranquillement assis jusqu’à ce qu’il eût repris assez de forces pour repartir, mais il n’y pourrait réussir que si on ne s’inquiétait pas de lui. Et voilà que pour comble la jeune fille déclara  Vous ne pouvez pas rester ici ; vous gênez la circulation. » K. leva les sourcils comme pour demander quelle était cette circulation qu’il risquait tant de gêner là .  Je vous mènerai à l’infirmerie, si vous voulez. Aidezmoi, s’il vous plaÃt », dit-elle à l’homme de la porte qui se rapprocha immédiatement. Mais K. ne voulait pas aller à l’infirmerie ; il désirait justement éviter qu’on ne le conduisit plus loin ; plus il s’enfoncerait en ces lieux, plus son malaise s’aggraverait.  Je peux déjà marcher », dit-il en se levant gauchement, ankylosé qu’il était par sa longue station assise. Mais il ne put se tenir droit.  Ça ne va pas », fit-il en secouant la tête. Et il se rassit en soupirant. Il se rappela l’huissier qui aurait pu le reconduire si facilement, mais l’huissier devait être parti depuis longtemps, car K. avait beau regarder entre l’homme et la jeune fille qui se tenaient devant lui, il n’arrivait pas à le trouver.  Je crois, dit l’homme, qui était vêtu élégamment – on remarquait surtout son gilet gris dont les pointes aiguÃs formaient comme une queue d’hirondelle – je crois que le malaise de ce monsieur est dû à l’atmosphère d’ici ; le mieux serait donc, pour lui comme pour nous, non pas de le mener à l’infirmerie, mais de le faire sortir des bureaux. – C’est cela ! s’écria K., qui, de joie, interrompit presque cet homme. J’irai tout de suite mieux ; d’ailleurs, je ne me sens pas tellement faible ; j’ai besoin simplement qu’on me soutienne un peu sous les bras, je ne vous donnerai pas beaucoup de mal, et puis le chemin n’est pas long, vous n’avez qu’à me mener jusqu’à la porte, je m’assiérai encore un peu sur les marches et je serai remis du premier coup, car je n’ai jamais été sujet à de tels malaises, celuici me surprend beaucoup. Je suis habitué, moi aussi, à l’atmosphère des bureaux, mais ici, comme vous le dites vous-même, elle est vraiment exagérée. Auriez-vous la bonté de me reconduire un peu ? J’ai le vertige et je me trouve mal quand je me lève seul. » Et il releva les épaules pour se faire prendre plus facilement sous les bras. Mais l’homme ne lui obéit pas ; il resta tranquillement les deux mains dans ses poches et se mit à rire bruyamment  Vous voyez bien, dit-il à la jeune fille, n’avais-je pas deviné juste ? Ce n’est qu’ici que ce monsieur ne se trouve pas bien ; ailleurs, cela ne lui arrive pas. » La jeune fille sourit aussi, mais donna une petite tape sur le bras de l’homme comme s’il était allé trop loin.  À quoi songez-vous donc ! dit l’homme, riant toujours, je ne demande pas mieux que de reconduire ce monsieur ! – Alors, c’est bon, dit la jeune fille en penchant un instant sa jolie tête. N’accordez pas trop d’importance à ce rire, ajouta-t-elle en s’adressant à K. qui, redevenu tout triste, regardait fixement devant lui et ne semblait pas avoir besoin d’explication. Ce monsieur – permettez-moi de vous le présenter le monsieur permit ici d’un geste de la main – ce monsieur est notre préposé aux renseignements. Il donne aux inculpés toutes les informations dont ils peuvent avoir besoin, et, comme nos méthodes de procédure ne sont pas très connues dans la population, on demande beaucoup de renseignements. Il a réponse à tout. Vous n’avez qu’à le mettre à l’épreuve si vous en avez envie. Mais ce n’est pas là son seul mérite ; il a aussi le privilège de l’élégance ! Nous avons pensé par  nous » j’entends les autres fonctionnaires qu’il fallait vêtir élégamment le préposé aux renseignements pour impressionner favorablement le public, car c’est toujours à lui que les inculpés ont affaire en premier lieu. Les autres sont, hélas ! beaucoup plus mal vêtus ; vous n’avez qu’à me regarder ; la mode ne nous inquiète guère ; c’est qu’il n’y aurait pas grand intérêt pour nous à nous mettre en frais de toilette, étant donné que nous passons presque tout notre temps dans les bureaux ; c’est même là que nous dormons. Mais, comme je vous le disais, pour notre préposé aux renseignements nous avons jugé qu’un beau costume était nécessaire. Malheureusement, comme notre administration, un peu bizarre à cet égard, n’a pas voulu le fournir elle-même, nous avons fait une collecte – les inculpés ont donné aussi – c’est ainsi que nous avons pu acheter à notre collègue le bel habit que vous voyez et même quelques autres avec. Tout irait donc maintenant pour faire bonne impression s’il ne gâchait notre Å“uvre par ce rire qui effraie tous les inculpés. – Et voilà , dit ironiquement le préposé aux renseignements ; mais je ne vois pas, mademoiselle, pourquoi vous éprouvez le besoin de raconter tous nos secrets à ce monsieur, ou plutôt de les lui imposer, car il ne tient pas le moins du monde à les apprendre ; voyez-le donc, il est tout absorbé par ses propres affaires. » K. n’avait même pas envie de contredire ; l’intention de la jeune fille était peut-être excellente ; elle visait peut-être à le distraire ou à lui donner le temps de se remettre, mais elle avait raté son but.  Il fallait bien que je lui explique votre rire, dit la jeune fille ; il était offensant. – Je crois, répondit l’employé, que ce monsieur me pardonnerait de bien pires offenses pourvu que je le reconduise à la sortie. » K. ne dit rien ; il ne leva même pas les yeux ; il admettait qu’on parlât de lui comme d’une chose et préférait même qu’il en fût ainsi, mais soudain il sentit la main de l’informateur sur l’un de ses bras et celle de la jeune fille sur l’autre.  Allons, debout, homme fragile ! dit le préposé aux renseignements. – Je vous remercie mille fois tous deux, fit K. en se levant lentement et en conduisant lui-même les mains de ses deux aides à l’endroit où il avait le plus besoin d’être soutenu. – On dirait, lui souffla la jeune fille à l’oreille pendant qu’ils gagnaient le couloir, on dirait à m’entendre que je cherche à faire valoir notre préposé aux renseignements ; qu’on en pense ce que l’on voudra, je ne cherche qu’à dire la vérité ; il n’a pas le cÅ“ur dur ; il n’est pas chargé de reconduire jusqu’à la porte les inculpés qui se trouvent mal, et il le fait cependant volontiers ; peut-être personne de chez nous n’a-t-il le cÅ“ur dur ; nous serions peut-être disposés à rendre service à tout le monde, mais, comme employés de la justice, nous faisons souvent l’effet d’être mauvais et de ne vouloir aider personne ; c’est une chose qui me fait littéralement souffrir. – Ne voulez-vous pas vous asseoir un peu ici ? » demanda le préposé aux renseignements. Ils étaient déjà dans le couloir, et juste en face de l’accusé auquel K. s’était adressé en venant. K. rougissait presque d’être obligé de se montrer en tel équipage à cet homme devant lequel il se tenait si droit quelques instants plus tôt ; maintenant, deux personnes le soutenaient et le préposé aux renseignements faisait tourner son chapeau au bout de ses doigts ; ses cheveux étaient décoiffés et pendaient sur son front en sueur. Mais l’accusé ne semblait rien voir de tout cela ; il restait humblement debout devant le préposé aux renseignements – qui ne le voyait même pas – et ne cherchait qu’à faire excuser sa présence.  Je sais, disait-il, qu’on ne peut pas s’occuper aujourd’hui de mon affaire. Mais je suis venu tout de même, pensant que je pourrais attendre ici ; c’est dimanche, j’ai le temps et je ne gêne personne. – Il n’y a pas lieu de tant vous excuser, dit le préposé aux renseignements, votre souci vous fait honneur ; évidemment, vous occupez inutilement une place dans la salle d’attente, mais tant que cela ne me gêne pas, je ne veux pas vous empêcher de vous tenir au courant de votre affaire ; quand on a vu comme moi tant d’inculpés qui négligent honteusement tous leurs devoirs, on apprend à patienter avec des gens comme vous. Asseyez-vous. – Hein ! Sait-il parler au public ? » souffla la jeune fille à K. K. fit oui de la tête, mais il eut un sursaut en s’entendant demander soudain par le préposé aux renseignements  Ne voulez-vous pas vous asseoir ? – Non, dit K., je ne veux pas finir de me reposer ici. » Il avait parlé avec la plus grande décision possible, mais il aurait éprouvé en réalité le plus vif plaisir à s’asseoir. Il ressentait une sorte de mal de mer. Il se croyait sur un bateau en mauvaise passe, il lui semblait qu’une eau furieuse frappait contre les cloisons de bois et il croyait entendre venir du fond du couloir un mugissement semblable à celui d’une vague qui allait passer sur sa tête ; on eût dit que le couloir tanguait et que de chaque côté les inculpés montaient et descendaient en cadence. Le calme de la jeune fille et de l’homme qui le conduisaient n’en devenait que plus incompréhensible. Le sort de K. était entre leurs mains ; s’ils le lâchaient, il tomberait comme une masse. Il sentait leurs pas réguliers sans pouvoir les accompagner, car on était presque obligé de le porter. Il finit bien par remarquer qu’on lui parlait, mais ne comprit pas ; il n’entendait qu’un grand vrombissement qui semblait emplir tout l’espace et que perçait incessamment une sorte de son aigu comme celui d’une sirène.  Plus fort », souffla-t-il, la tête basse, en rougissant de ce qu’il disait, car il savait très bien, au fond, qu’on avait parlé assez haut. Enfin, comme si le mur se fût déchiré brusquement, un courant d’air frais lui vint souffler à la face et il entendit dire à côté de lui  Il veut s’en aller à tout prix, et puis, quand on lui dit que la sortie est là , on a beau le lui répéter cent fois, il ne remue pas plus qu’une souche. » Il vit alors qu’il se trouvait devant la porte de sortie ; la jeune fille la lui avait ouverte. Il lui sembla que toutes ses forces lui revenaient d’un coup, et, pour savourer un avant-goût de liberté, il descendit immédiatement sur la première marche, d’où il fit ses adieux à l’homme et à la jeune fille qui se tenaient penchés vers lui.  Merci beaucoup », répéta-t-il. Et il leur serra la main à plusieurs reprises ; il ne cessa que quand il crut voir que ces gens, habitués à l’atmosphère des bureaux, supportaient difficilement l’air relativement frais qui venait de l’escalier. C’est à peine s’ils purent répondre, et la jeune fille serait peut-être même tombée s’il n’avait refermé la porte en toute hâte ; il resta encore là un moment, sortit son miroir de poche et se donna un coup de peigne, ramassa son chapeau sur la marche suivante – où le préposé aux renseignements avait dû le jeter – et descendit l’escalier si vivement qu’il fut presque effrayé de cette transformation. Sa solide santé ne lui avait jamais causé pareille surprise. Son corps voulait-il donc se rebeller et lui préparer des ennuis d’un nouveau genre maintenant qu’il supportait si bien ceux du procès ? Peutêtre faudrait-il qu’il allât voir un médecin à la prochaine occasion ? En tout cas, il se proposait de mieux employer ses dimanches à l’avenir. Chapitre 4 L’AMIE DE MADEMOISELLE BURSTNER Les jours suivants, il fut impossible à K. d’échanger le moindre mot avec Mlle Bürstner ; il essaya de l’approcher des plus diverses façons, mais elle s’entendit toujours à l’empêcher de réussir ; il essaya de revenir chez lui aussitôt sorti du bureau et de rester sans lumière dans sa chambre à observer le vestibule du fond de son canapé. Si la bonne, croyant la chambre vide, en fermait la porte au passage, il se levait au bout d’un moment et la rouvrait. Le matin, il quittait son lit une heure plus tôt que de coutume pour tenter de rencontrer Mlle Bürstner seule quand elle se rendait au travail. Mais nulle de ses tentatives ne réussit. Il écrivit alors deux lettres à la jeune fille, l’une à son bureau et l’autre à son adresse privée dans ces missives il cherchait à justifier une fois de plus sa conduite, s’offrait à toutes satisfactions, promettait de ne jamais dépasser les limites que Mlle Bürstner lui imposerait et ne lui demandait que de lui offrir un entretien, ajoutant qu’il ne pourrait parler à Mme Grubach tant qu’il ne l’aurait pas vue elle-même ; il lui disait, pour terminer, qu’il attendait chez lui tout le dimanche suivant un signe d’elle qui lui permÃt d’espérer le succès de sa demande ou lui expliquât tout au moins les raisons de son insuccès, raisons inimaginables puisqu’il lui promettait de faire tout ce qu’elle voudrait. Les lettres ne lui revinrent pas, mais il n’eut aucune réponse. En revanche, le dimanche suivant, il put voir se produire un signe d’une suffisante netteté. Dès le matin, par le trou de la serrure, il aperçut dans le vestibule un mouvement particulier qui ne tarda pas à s’expliquer. Une jeune fille qui donnait des leçons de français – c’était d’ailleurs une Allemande, et elle s’appelait Montag – être fragile, pâle et légèrement boiteux, qui avait habité jusque-là dans une chambre à part, déménageait pour venir loger avec Mlle Bürstner ; elle rôda pendant des heures dans le vestibule ; il lui restait toujours quelque livre oublié à aller chercher dans son ancienne chambre et à porter dans son nouvel appartement. Quand Mme Grubach vint servir à K. son déjeuner – depuis qu’elle l’avait irrité, elle assumait elle-même tout son service – il ne put se retenir de lui adresser la parole, pour la première fois depuis le fameux soir  Pourquoi y a-t-il donc aujourd’hui un pareil bruit dans le vestibule ? demande-t-il en se servant le café ; ne pourraiton y mettre fin ? N’y a-t-il pas d’autre jour que le dimanche pour faire les nettoyages ? » Bien qu’il n’eût pas regardé Mme Grubach, il remarqua qu’elle poussait un soupir comme une personne soulagée. Elle voyait une sorte de pardon, ou tout au moins une sorte de début de pardon, jusque dans ces questions de K.  Ce n’est pas un nettoyage, monsieur K., dit-elle, c’est simplement Mlle Montag qui déménage pour aller chez Mlle Bürstner et qui transporte ses affaires. » Elle n’ajouta rien, attendant de savoir comment K. prendrait la chose et s’il lui permettrait de continuer à parler. Mais K. la laissa d’abord faire en silence un moment en remuant pensivement la cuillère dans son café. Puis il la regarda et dit  Avez-vous déjà abandonné vos anciens soupçons au sujet de Mlle Bürstner ? – Ah ! Monsieur K., répondit alors Mme Grubach – qui n’attendait depuis le début que cette question – en tendant vers K. ses mains jointes, vous avez pris dernièrement si tragiquement une remarque de rien du tout ! J’étais bien éloignée de songer à vous blesser ni vous ni qui que ce fût ; vous me connaissez depuis assez longtemps, monsieur K., pour pouvoir en être convaincu ! Vous ne pouvez pas savoir ce que j’ai souffert ces jours derniers. Eh quoi ! c’est moi qui irais calomnier mes locataires ! Et vous, monsieur K., vous le croyiez et vous disiez qu’il fallait vous donner congé ! vous donner congé ! » Cette dernière exclamation se perdit dans les larmes ; Mme Grubach porta son tablier à son visage et se mit à sangloter bruyamment.  Ne pleurez donc pas, dit K. en regardant par la fenêtre, car il ne songeait qu’à Mlle Bürstner et qu’elle allait héberger une jeune fille dans sa chambre. Ne pleurez donc pas », répéta-t-il en se retournant vers sa propriétaire. Et, en voyant qu’elle pleurait toujours  Moi non plus je n’avais pas parlé aussi sérieusement que vous le pensez ; nous nous sommes mépris tous deux, cela peut arriver même à de vieux amis. » Mme Grubach baissa un peu son tablier pour voir si K. faisait vraiment bon visage.  Eh oui ! c’est comme ça ! » dit K. Et comme l’attitude de Mme Grubach semblait montrer que le capitaine n’avait rien dit, il osa même ajouter  Croyez-vous donc vraiment que je pourrais me brouiller avec vous pour une étrangère ? – C’est justement ça, monsieur K., dit Mme Grubach, car elle avait le malheur de dire toujours ce qu’il ne fallait pas dès que la contrainte l’abandonnait. Je ne cessais de me demander Pourquoi M. K. s’occupe-t-il tant de Mlle Bürstner ? Pourquoi se dispute-t-il avec moi alors qu’il sait que de sa part le moindre mot peut m’empêcher de dormir ? Je n’ai rien dit de la demoiselle que ce que j’avais vu de mes yeux. » K. ne répondit pas, car il n’aurait pu s’empêcher de mettre Mme Grubach à la porte au premier mot, et il ne voulait pas le faire. Il se contenta de boire son café et de faire sentir à Mme Grubach la superfluité de sa présence. On recommençait à entendre dehors le pas traÃnant de Mlle Montag qui traversait le vestibule.  Entendez-vous ? dit K. en indiquant le couloir du bout de l’index. – Eh oui ! dit Mme Grubach en soupirant ; je voulais l’aider et même lui prêter la bonne ; mais elle est très entêtée, elle a tout voulu déménager elle-même. Je m’étonne de la conduite de Mlle Bürstner ; je suis souvent lasse de garder Mlle Montag, et voilà que Mlle Bürstner la prend maintenant dans sa chambre ! – Pourquoi vous en inquiéter ? dit K. en écrasant un restant de sucre dans sa tasse. Cela vous cause-t-il quelque tort ? – Non, dit Mme Grubach, en lui-même ce déménagement me fait même plaisir, car il me laisse une chambre à donner à mon neveu le capitaine. Je craignais depuis longtemps qu’il ne vous eût dérangé en restant dans le salon où j’avais été obligé de le loger, car il ne se gêne pas beaucoup. – Quelle idée ! dit K. en se levant ; il n’est pas question de cela ; vous avez l’air de me croire bien nerveux parce que je ne peux pas supporter ces pérégrinations de Mlle Montag ! Allons, bon ! la voilà qui retourne encore ! » Mme Grubach sentit toute son impuissance  Dois-je lui dire, monsieur K., de remettre à un peu plus tard le reste de son déménagement ? Si vous voulez, je vais le faire tout de suite. – Elle doit pourtant aller, dit K., chez Mlle Bürstner ? – Oui, répondit Mme Grubach sans trop saisir l’intention de K. – Eh bien, alors, dit K., il faut bien qu’elle y porte ses affaires ! » Mme Grubach se contenta de hocher la tête. Cette muette impuissance qui avait l’air d’une bravade augmenta encore l’irritation de K. ; il se mit à aller et venir de la porte à la fenêtre, empêchant ainsi sa propriétaire de s’en aller comme elle l’eût fait probablement sans cette navette. K. venait juste d’atteindre la porte une fois de plus quand on frappa. C’était la bonne qui venait annoncer que Mlle Montag désirait échanger quelques mots avec M. K. et le priait de venir à la salle à manger où elle l’attendait. K. écouta pensivement, puis il se retourna d’un air presque ironique vers Mme Grubach qui en fut effrayée. Cette ironie semblait dire en effet que K. avait déjà prévu depuis longtemps l’invitation de Mlle Montag et qu’elle n’avait rien d’étonnant après tous les ennuis qu’il avait déjà dû essuyer ce matin-là de la part des locataires de Mme Grubach. Il renvoya la bonne en faisant dire qu’il venait, puis il alla à son armoire pour changer de veste, et, comme la propriétaire gémissait doucement sur l’importunité de Mlle Montag, il lui répondit seulement en la priant d’emporter la vaisselle du déjeuner.  Mais vous n’avez touché à presque rien ! lui dit-elle. – Emportez quand même ! » cria K. Il lui semblait que Mlle Montag était mêlée jusqu’à cette vaisselle et qu’elle la lui empoisonnait. En traversant le vestibule, il jeta un regard sur la porte, fermée, de Mlle Bürstner ; mais ce n’était pas là qu’il était invité, c’était à la salle à manger, et il l’ouvrit en coup de vent, sans même prendre la précaution de frapper. La pièce était longue, étroite, avec une seule fenêtre. Il y avait juste assez de place pour permettre de disposer obliquement un buffet de chaque côté de la porte, tout le reste de l’espace étant occupé par une longue table qui commençait près de l’entrée et arrivait jusqu’à la grande fenêtre qui en était rendue presque inabordable. La table était déjà servie pour un grand nombre de convives, car le dimanche presque tous les locataires mangeaient là . Quand K. entra, Mlle Montag quitta la fenêtre et s’avança au-devant de lui en suivant le bord de la table ; puis, la tête trop droite comme toujours, elle dit  Je ne sais pas si vous me connaissez ? » K. la regarda en fronçant les sourcils  Mais si, dit-il, il y a déjà assez longtemps que vous habitez chez Mme Grubach. – Oui, répondit Mlle Montag, mais je ne pense pas que vous vous occupiez beaucoup de la pension. – Non, dit K. – Ne voulez-vous pas vous asseoir ? » demanda Mlle Montag. Ils approchèrent chacun une chaise du bout de la table et s’assirent l’un en face de l’autre. Mais Mlle Montag se releva aussitôt pour aller chercher son réticule qu’elle avait laissé sur le rebord de la fenêtre ; elle revint en le balançant du bout des doigts, puis elle dit  J’aurais simplement quelques mots à vous dire de la part de mon amie. Elle voulait venir elle-même, mais elle se sent un peu fatiguée aujourd’hui, et elle vous prie de l’excuser et de m’écouter à sa place. Elle n’aurait d’ailleurs rien pu vous apprendre d’autre que ce que je vais vous annoncer ; je pense même que je peux vous en dire plus long qu’elle, puisque je suis relativement moins intéressée à cette affaire. Ne le croyez-vous pas aussi ? – Que peut-il bien y avoir à dire ? » répondit K. fatigué de voir le regard de Mlle Montag rivé à ses lèvres. » Elle avait l’air de s’arroger ainsi un droit de suzeraineté jusque sur ses paroles à venir.  Mlle Bürstner ne veut sans doute pas m’accorder l’entretien personnel que je lui avais demandé ? – C’est cela, dit Mlle Montag, ou plutôt ce n’est pas tout à fait cela ; vous vous exprimez trop brutalement. En général, un entretien ne s’accorde ni ne se refuse. Mais il peut se faire qu’on le tienne pour inutile, et c’est le cas. Maintenant, après votre réflexion, je puis parler ouvertement ; vous avez demandé, verbalement ou par écrit, un entretien à mon amie. Or, elle connaÃt – c’est du moins ce que je suis amenée à supposer – elle connaÃt déjà le sujet de cet entretien, et elle est convaincue, pour des raisons que j’ignore, qu’il ne pourrait servir à rien. D’ailleurs, elle ne m’en a parlé qu’hier et d’une façon très superficielle, disant que vous ne deviez pas attacher non plus beaucoup d’importance à cette entrevue – car vous n’en aviez eu l’idée que par hasard – et que vous reconnaÃtriez vous-même bientôt, si vous ne l’aviez déjà fait, l’inutilité de tout cela sans explication particulière ; je lui répondis que c’était peut-être juste, mais que je trouverais préférable, pour la netteté de la situation, qu’elle vous répondit clairement. Je m’offris à le faire pour elle et mon amie accepta après quelque hésitation. J’espère avoir agi dans le sens qu’elle désirait elle-même, car la moindre incertitude est toujours pénible, même dans les plus petites choses, et, quand on peut l’éviter facilement, comme c’est le cas, il vaut mieux le faire immédiatement. – Je vous remercie », répondit K. Il se releva lentement, regarda Mlle Montag, puis la table, puis la fenêtre – la maison d’en face était tout ensoleillée – et se dirigea vers la porte ; Mlle Montag le suivit quelques pas comme si elle n’avait pas complètement confiance, mais parvenus devant la porte, ils durent reculer tous deux, car elle s’ouvrit, poussée par le capitaine Lanz. K. ne l’avait encore jamais vu d’aussi près. C’était un homme de grande taille, qui pouvait avoir quarante ans ; son visage était charnu et hâlé ; il s’inclina légèrement pour saluer les deux personnes, puis se dirigea vers Mlle Montag et lui baisa respectueusement la main. Il avait une grande aisance de mouvements ; sa politesse envers Mlle Montag jurait avec l’attitude de K. ; cependant, Mlle Montag n’avait pas l’air d’en tenir rigueur à K., il lui sembla même qu’elle voulait le présenter au capitaine. Mais K. n’y tenait nullement ; il n’eût pu se montrer aimable ni avec elle ni avec lui ; ce baisemain avait associé à ses yeux la jeune fille à un groupe de conjurés qui, tout en se donnant l’apparence la plus inoffensive et la plus désintéressée, travaillait secrètement à le tenir éloigné de Mlle Bürstner. Ce ne fut pas la seule chose que K. crut voir ; il s’aperçut aussi que Mlle Montag avait choisi un bon moyen quoiqu’il présentât deux tranchants ; elle s’arrangeait pour exagérer l’importance des relations entre K. et Mlle Bürstner, et surtout l’importance de l’entretien demandé, et tournait la chose de telle sorte que ce fût K. qui parût tout exagérer ; il fallait lui montrer qu’elle faisait fausse route ; K. ne voulait rien exagérer, il savait que Mlle Bürstner était une petite dactylo qui ne lui résisterait pas longtemps. Encore ne faisait-il intentionnellement pas entrer en ligne de compte ce qu’il avait appris d’elle par Mme Grubach. Ce fut en réfléchissant à tout cela qu’il quitta la pièce sur un imperceptible salut ; il voulait retourner tout de suite dans sa chambre, mais un petit rire de Mlle Montag lui fit penser qu’il pourrait peut-être lui ménager une surprise ainsi qu’au capitaine Lanz. Il regarda autour de lui, l’œil et l’oreille au guet, épiant le bruit qui risquerait de présager un dérangement. Mais le calme régnait partout. On n’entendait que la conversation qui venait de la salle à manger et la voix de Mme Grubach dans le couloir de la cuisine. L’occasion semblait favorable, K. alla frapper à la porte de Mlle Bürstner ; comme rien ne bougeait, il frappa de nouveau, mais cette fois non plus, nulle réponse. Dormait-elle ou était-elle vraiment fatiguée ? Ou bien ne camouflait-elle sa présence que parce qu’elle pressentait que ce ne pouvait être que K. qui frappait aussi doucement. K. pensa qu’elle faisait semblant d’être absente ; il recommença plus fort, et, voyant que son toctoc n’avait aucun résultat, ouvrit finalement la porte avec prudence, non sans éprouver le sentiment de commettre une faute, et, qui pis est, une faute inutile. Il n’y avait personne dans la chambre ; elle ne rappelait d’ailleurs guère celle que K. avait connue. Maintenant, il y avait deux lits le long du mur ; près de la porte, on voyait trois chaises surchargées de linge et d’habits ; une armoire était grande ouverte. Mlle Bürstner avait dû partir pendant que Mlle Montag entretenait K. dans la salle à manger ; il n’en fut pas trop déconcerté, car il ne s’attendait guère à rencontrer la jeune fille ; c’était par défi, pour braver Mlle Montag, qu’il avait fait cette tentative ; il ne lui en fut que plus pénible d’apercevoir en refermant, par la porte qui donnait sur la salle à manger, Mlle Montag causant tranquillement avec le capitaine Lanz ; ils étaient peut-être là depuis le moment où K. avait ouvert la porte ; ils évitaient de se donner l’air d’observer, parlaient à voix basse et ne suivaient ses mouvements que comme on le fait dans une conversation en regardant distraitement autour de soi. Mais ces regards pesaient terriblement à K., il regagna sa chambre en hâte, en longeant le mur du couloir. Chapitre 5 LE BOURREAU L’un des soirs suivants, comme K. passait dans le corridor qui séparait son bureau de l’escalier principal – il avait été l’un des derniers à s’en aller et il ne restait plus à la banque que deux domestiques en train de liquider les dernières expéditions dans le petit rond de lumière d’une lampe électrique – il entendit pousser des soupirs derrière une porte qu’il avait toujours prise pour celle d’un simple cabinet de débarras. Tout étonné, il s’arrêta et écouta encore une fois pour être sûr de ne pas se tromper ; il y eut d’abord un moment de silence, puis les soupirs recommencèrent. Sa première idée fut d’aller chercher un domestique pour le cas où il aurait besoin d’un témoin ; mais il fut pris d’une si grande curiosité qu’il fit voler littéralement la porte sous sa main. Il se trouvait, comme il l’avait pensé, dans un cabinet de débarras ; le seuil était tout encombré d’imprimés inutilisables et de vieux encriers en terre cuite, mais trois hommes occupaient le milieu, un peu courbés à cause du plafond bas. Ils étaient éclairés par une bougie fixée sur un rayon.  Que faites-vous là ? » demanda K., dont l’émotion précipitait le débit, mais sur un ton de voix assourdi. L’un des hommes, qui avait l’air d’être le maÃtre des deux autres, et qu’on apercevait le premier, était vêtu d’une sorte de combinaison de cuir sombre très décolletée qui laissait les bras entièrement nus. Il ne répondit rien. Mais les deux autres crièrent  MaÃtre ! nous devons être fouettés parce que tu t’es plaint de nous au juge d’instruction. » Ce fut alors que K. reconnut en eux les inspecteurs Franz et Willem et vit que le troisième tenait en effet une verge à la main pour les battre.  Comment ! dit K., les yeux fixés sur eux, je ne me suis pas plaint ; j’ai simplement exposé ce qui s’était passé chez moi, où vous ne vous êtes évidemment pas conduits d’une façon irréprochable. – Monsieur, dit Willem pendant que Franz cherchait à se cacher derrière lui pour se protéger du troisième, si vous saviez combien nous sommes mal payés, vous ne vous jugeriez pas ainsi. J’ai une famille à nourrir et Franz voulait se marier. On cherche à s’enrichir comme on peut et ce n’est pas par le seul travail qu’on y parvient, même en s’échinant comme un bÅ“uf. Votre beau linge m’a tenté ; naturellement, il est interdit aux inspecteurs d’agir ainsi ; j’avais tort ; mais il est de tradition que le linge nous revienne ; il en a toujours été ainsi croyez-m’en ; c’est assez naturel d’ailleurs, car à quoi ces choses-là pourraient-elles bien servir à ceux qui ont le malheur d’être arrêtés ? Évidemment, si le public apprend l’histoire, il faut que le délit soit puni. – Je ne savais pas ce que vous me dites là , je n’ai d’ailleurs nullement demandé votre châtiment, il ne s’agissait pour moi que d’une question de principe. – Franz, dit alors Willem à son collègue, ne te disais-je pas que ce monsieur n’avait pas demandé notre punition ? Tu vois bien maintenant qu’il ne savait même pas que nous devions être punis. – Ne te laisse pas émouvoir par ces discours, dit le troisième à K., la punition est aussi juste qu’inévitable. – Ne l’écoute pas, dit Willem en s’interrompant seulement pour porter à sa bouche la main sur laquelle le bourreau venait de lui donner un coup de verge. Nous ne sommes punis que parce que tu nous as dénoncés, sans quoi il ne nous serait rien arrivé, même si l’on avait appris ce que nous avons fait ; nous avions toujours montré tous les deux, mais surtout moi, que nous étions de bons gardiens. Tu avoueras toi-même que nous avons fait bonne garde du point de vue de l’autorité. Nous pouvions espérer avancer et nous serions certainement devenus fustigeurs nous aussi, comme l’inspecteur qui est là et qui a eu le bonheur de ne jamais être dénoncé – car cela n’arrive vraiment que très rarement – et maintenant, maÃtre, tout est perdu, voilà notre carrière finie, on ne nous emploiera plus qu’à des travaux encore plus subalternes que la garde des prévenus, et, par-dessus le marché, nous avons à recevoir cette terrible bastonnade. – Cette verge fait-elle donc si grand mal ? demanda K. en examinant l’instrument que brandissait le bourreau. – C’est qu’il faudra nous déshabiller, dit Willem. – Ah ! dans ces conditions… » fit K., et il regarda le bourreau c’était un homme bronzé comme un marin avec une tête farouche et décidée.  N’y a-t-il donc, demanda-t-il, aucun moyen de leur éviter ces coups ? – Non », répondit le fustigeur en secouant la tête avec un sourire. – Déshabillez-vous », ordonna-t-il aux inspecteurs. Et il dit à K.  Il ne faut pas croire tout ce qu’ils te disent ; la peur des coups les abrutit un peu ; ce que raconte celui-ci de sa carrière – et il montrait du doigt Willem – est absolument ridicule. Vois donc comme il est gras ; les premiers coups de verge se perdront dans sa graisse. Sais-tu comment il est devenu si gras ? C’est en mangeant le déjeuner de tous les gens qu’il a arrêtés. Est-ce qu’il n’a pas mangé le tien ? Eh bien, c’est bien ce que je te disais ! Un homme qui a un pareil ventre ne peut jamais devenir fustigeur, c’est absolument impossible. – Il y en a pourtant qui me ressemblent, affirma Willem en dénouant la ceinture de son pantalon. – Non, dit le bourreau en lui passant sa cravache sur le cou de telle façon que l’autre en frissonna, tu n’as pas à écouter, mais à te déshabiller. – Je te paierai grassement si tu les laisses partir, dit K. en sortant son portefeuille sans regarder le bourreau – car il vaut mieux traiter ce genre d’affaires les yeux baissés. – Tu voudrais me dénoncer, moi aussi, dit le bourreau, et me faire fustiger avec les autres ; non, non. – Sois donc raisonnable, dit K., si j’avais voulu faire punir ces deux-là je ne chercherais pas maintenant à acheter leur liberté ; je n’aurais qu’à fermer la porte, à ne plus rien voir ni entendre et à retourner chez moi ; tu vois bien que je ne le fais pas, je tiens beaucoup à les délivrer, et, si j’avais supposé qu’ils dussent être punis, je n’aurais jamais dit leurs noms, car je ne les tiens pas pour responsables. C’est l’organisation qui l’est, ce sont les hauts fonctionnaires. – Parfaitement, crièrent les inspecteurs, qui reçurent aussitôt un coup sur leurs échines nues. – Si tu tenais ici sous ton fouet l’un des magistrats, lui dit K. – et il rabaissait tout en parlant la verge que l’autre relevait déjà – je ne t’empêcherais sûrement pas de frapper, je te paierais au contraire afin que tu prennes des forces pour le service de la bonne cause. – Ce que tu dis n’est pas invraisemblable, déclara le bourreau, mais je ne me laisse pas soudoyer. Je suis employé pour fustiger et je fustige. » L’inspecteur Franz qui, s’attendant peut-être au succès de l’intervention de K. était resté jusque-là sur la réserve, s’avança vers la porte vêtu de son seul pantalon, et, s’agenouillant devant K., se pendit à son bras et lui dit  Si tu ne peux pas arriver à nous faire épargner tous les deux, essaie au moins de me délivrer, moi. Willem est plus vieux que moi, il a la peau plus dure à tous égards et a déjà subi une fois une peine de ce genre il y a quelques années, tandis que moi je ne suis pas encore déshonoré et je n’ai agi que poussé par Willem qui est mon maÃtre dans le bien et dans le mal. Devant la banque ma pauvre fiancée attend le résultat et je ne sais où me cacher. » Il essuya avec le pan de la veste de K. son visage ruisselant de larmes.  Je n’attends plus », dit le bourreau en saisissant la verge des deux mains et en frappant sur Franz, tandis que Willem restait accroupi dans un coin et regardait à la dérobée sans risquer un seul mouvement de tête ; ce fut alors que s’éleva le cri de Franz, d’un seul jet et sur un seul ton ; il ne semblait pas provenir d’un homme, mais d’une machine à souffrir, tout le corridor en retentit, toute la maison dut l’entendre.  Ne crie donc pas », lança K. hors de lui. Et tout en regardant fiévreusement dans la direction d’où les domestiques devaient venir, il lui donna une bourrade sans violence, mais qui suffit à le faire tomber ; on vit l’homme qui battait des mains pour trouver le sol ; mais il n’échappa pas au bourreau ; la verge alla le trouver à terre, on la voyait monter et descendre en cadence tandis qu’il se roulait de douleur. Déjà un domestique apparaissait au loin, suivi d’un autre à quelques pas. K. eut vite fait de refermer la porte, il s’approcha d’une fenêtre de la cour et l’ouvrit. Le cri avait cessé complètement. Pour empêcher les domestiques d’approcher il leur cria  C’est moi ! – Bonsoir, monsieur le fondé de pouvoir, répondirent-ils, s’est-il passé quelque chose ? – Non, non, répondit K., ce n’est qu’un chien qui a hurlé dans la cour. » Mais comme les domestiques ne bougeaient pas, il ajouta  Rien ne vous empêche de rester à votre travail. » Et, pour ne pas avoir à causer avec eux, il se pencha à la fenêtre. Au bout d’un moment, quand il regarda de nouveau dans le corridor, ils étaient déjà partis. Il resta pourtant à la croisée ; il n’osait plus retourner dans le cabinet de débarras et il ne voulait pas non plus rentrer chez lui. La cour qu’il regardait était petite, carrée et entourée de bureaux ; toutes les fenêtres étaient déjà noires, les plus hautes attrapaient tout de même un reflet de lune. K. cherchait à distinguer dans un coin ténébreux les voitures à bras qui devaient se trouver là , empêtrées les unes dans les autres. Il était tourmenté de n’avoir pu empêcher la correction des deux inspecteurs ; mais il n’y avait pas de sa faute ; si Franz n’avait pas crié – les coups devaient faire grand mal, mais dans un moment décisif il faut savoir se contenir – si donc Franz n’avait pas crié, K. eût très vraisemblablement trouvé un autre moyen de convaincre le bourreau. Si tous les employés subalternes de cette justice étaient des fripouilles, pourquoi le bourreau, celui qui avait de tous le service le plus inhumain, aurait-il fait exception à la règle ? K. avait bien vu l’éclair de convoitise qui était passé dans ses yeux à l’aspect des billets de banque. Cet homme n’avait évidemment frappé que pour faire augmenter le pot-devin, et K. n’aurait pas épargné, car il avait à cÅ“ur de délivrer les inspecteurs. Puisqu’il avait déjà commencé à lutter contre la corruption de la justice, il était tout naturel qu’il le fit aussi dans ce cas. Mais, dès l’instant que Franz s’était mis à crier, K. n’avait plus rien à tenter, car il ne pouvait pas risquer de laisser venir les domestiques, et peut-être encore une foule de gens, qui l’auraient surpris en train de négocier avec les hommes du cabinet de débarras. C’était un sacrifice que personne ne pouvait vraiment exiger de lui. S’il avait eu l’intention de le faire, c’eût été presque plus facile ; il n’aurait eu qu’à se déshabiller lui-même et à s’offrir à la place des inspecteurs. Mais le bourreau n’eût certainement pas accepté cet ersatz puisqu’il n’en eût pas moins forfait gravement à son devoir sans en tirer nul bénéfice, et doublement forfait, car la personne de K. devait être sacrée pour les employés de la justice pendant toute la durée du procès. À moins que certaines dispositions ne prévissent des exceptions ? Quoi qu’il en fût, K. n’avait pu que refermer la porte, encore était-ce loin de lui épargner tout danger. Il était regrettable qu’il eût porté un coup à Franz, son émotion pouvait seule expliquer sa conduite. Les pas des domestiques se firent entendre au loin ; pour ne pas se faire remarquer il ferma alors la fenêtre et se dirigea vers l’escalier principal. Près de la porte du débarras, il s’arrêta et écouta un instant ; on n’entendait pas un bruit, l’homme pouvait bien avoir tué les inspecteurs sous les coups ; n’étaient-ils pas complètement à sa merci ? K. allongeait déjà la main vers la poignée de la porte, mais il se reprit aussitôt. Il ne pouvait plus aider personne ; tous les domestiques allaient arriver. En revanche, il se promit de parler de cette histoire et de faire punir, dans la mesure où il le pourrait, les vrais coupables qui étaient les hauts fonctionnaires dont nul n’avait encore osé se montrer à lui. En redescendant le perron de la banque il observa attentivement tous les passants, mais aussi loin qu’il regardât nulle jeune fille n’attendait qui que ce fût. Les dires de Franz, qui déclarait que sa fiancée l’attendait là , représentaient donc un mensonge, excusable, à la vérité, car il n’avait eu d’autre but que d’accroÃtre la pitié de K. Le jour suivant, le souvenir des inspecteurs ne quitta pas l’esprit de K. Il fut distrait pendant tout son travail et, pour arriver à le finir, il resta encore au bureau un peu plus longtemps que la veille. En repartant, comme il passait devant le cabinet, son obsession le poussa à l’ouvrir, et ce qu’il aperçut alors au lieu de l’obscurité attendue le plongea dans l’affolement. Tout était exactement tel qu’il l’avait trouvé la veille en ouvrant la porte, les vieux imprimés, les encriers, le bourreau avec sa verge, les inspecteurs encore complètement habillés et la bougie sur le rayon. Et les inspecteurs se mirent à se plaindre comme la veille  MaÃtre ! MaÃtre ! » K. referma aussitôt la porte et tapa même à coups de poing dessus comme si elle devait s’en trouver mieux fermée. Presque pleurant, il se rendit dans la pièce où les domestiques travaillaient tranquillement à la polycopie ; ils s’arrêtèrent étonnés dans leur besogne.  Nettoyez donc une bonne fois ce cabinet de débarras ! leur cria-t-il, on nage dans la saleté ici ! » Les domestiques dirent qu’ils le feraient dès le lendemain ; K. approuva, car il était vraiment trop tard pour les obliger encore comme il en avait eu l’idée. Il s’assit un instant près d’eux afin de les garder à vue, fourragea dans le tas de copies, en croyant se donner par là l’air d’examiner le travail, puis repartit, le cerveau vide et fatigué, en se rendant compte que les domestiques n’oseraient pas s’en aller en même temps que lui. Chapitre 6 L’ONCLE LENI Un après-midi – c’était l’heure du courrier et K. se trouvait précisément très occupé – il vit venir à lui son oncle, un petit propriétaire foncier qui arrivait de sa campagne et qui pénétra dans le bureau en se glissant entre deux domestiques au moment où ils apportaient des papiers. K. fut moins effrayé du fait qu’il ne l’avait été de l’idée que son oncle allait arriver, quand cette pensée lui était venue il y avait déjà quelque temps. L’oncle était obligé de venir, K. s’en doutait depuis un mois. À ce moment-là , il lui avait semblé le voir, un peu voûté, écrasant son panama de la main gauche et tendant du plus loin la droite à son neveu – il la lançait au-dessus du bureau avec une précipitation brutale et renversait tout au passage. L’oncle se trouvait toujours pressé, poursuivi qu’il était par la malheureuse idée qu’il devait régler dans le seul jour où il restait dans la capitale tout ce qu’il s’était proposé et ne devait laisser, pour combler, échapper nul des entretiens, des affaires ou des plaisirs qui se présentaient à l’occasion. K., qui lui devait beaucoup, l’ayant eu pour tuteur, devait l’aider en tout cela et lui offrir en outre le gÃte pour la nuit. Aussi l’appelait-il avec terreur  le fantôme rustique ». Dès les premières effusions – l’oncle n’eut pas le temps de s’asseoir dans le fauteuil que son neveu lui offrait – il pria K. de lui accorder un bref entretien confidentiel.  C’est une chose nécessaire, dit-il en avalant péniblement, c’est une chose nécessaire à ma tranquillité. » K. renvoya aussitôt tous les domestiques en leur défendant de laisser entrer qui que ce fût.  Qu’ai-je appris, Joseph ? » s’écria l’oncle dès qu’ils furent seuls, et il s’assit sur la table en fourrant pour plus de confort sous son derrière divers papiers qu’il ne regarda même pas. K. se taisait ; il savait ce qui allait venir, mais, délesté soudain d’un travail épuisant, il commençait involontairement par s’adonner à une agréable lassitude et regardait par la fenêtre le côté opposé de la rue dont on ne voyait de son siège qu’une petite portion triangulaire, un morceau de mur vide entre deux vitrines.  Tu regardes par la fenêtre ! s’écria l’oncle en levant les bras ; pour l’amour du Ciel, Joseph, réponds-moi ! dis-le moi s’il te plaÃt, cette chose est-elle vraie ? Peut-elle vraiment être vraie ? – Cher oncle, dit K. en s’arrachant à sa distraction, je ne vois pas du tout ce que tu me veux. – Joseph ! dit l’oncle sur un ton d’avertissement, tu as toujours dit la vérité autant que je sache. Tes derniers mots m’annonceraient-ils un changement ? – Je devine bien un peu ta pensée, dit alors K. docilement, tu as sans doute entendu parler de mon procès. Et par qui donc ? – Erna me l’a écrit, dit l’oncle, tu ne la vois jamais, tu ne t’inquiètes, hélas ! guère d’elle, mais elle l’a tout de même appris, j’ai reçu sa lettre aujourd’hui ; naturellement je suis venu tout de suite ; je n’avais pas d’autre motif, mais il me semble qu’il suffit. Je peux te montrer le passage – il tira la lettre de son portefeuille – voilà l’endroit, elle m’écrit  Il y a longtemps que je n’ai pas vu Joseph ; la semaine dernière je suis allée le voir à la banque, mais il était si occupé qu’on ne m’a pas laissée entrer. J’ai attendu plus d’une heure, et puis j’ai été obligée de revenir à la maison à cause de la leçon de piano. J’aurais bien aimé lui parler, mais peut-être une occasion s’en présentera-t-elle bientôt. Pour mon anniversaire, il m’a envoyé une grande boÃte de chocolat, c’était bien gentil de sa part. J’avais oublié de te l’écrire la dernière fois, je ne m’en souviens que maintenant que tu me le demandes. C’est que le chocolat disparaÃt tout de suite à la pension, on n’a pas le temps de savoir qu’on l’a reçu qu’il est déjà envolé. Mais en ce qui concerne Joseph, je voulais te dire autre chose ; comme je te l’écrivais plus haut, je n’ai pas pu le voir à la banque parce qu’il était en pourparlers avec un monsieur. Après avoir attendu tranquillement j’ai demandé à un domestique si l’entrevue devait durer encore longtemps ; il m’a dit que cela se pourrait bien parce qu’il s’agissait sans doute du procès qu’on avait intenté à M. le fondé de pouvoir. Je lui ai demandé ce que c’était que ce procès et s’il ne se trompait pas et que c’était bien un procès, et même grave, mais qu’il n’en savait pas plus long. Il disait qu’il aurait bien voulu aider M. le fondé de pouvoir qui était un homme bon et juste, mais qu’il ne savait comment s’y prendre et qu’il souhaitait que des gens influents s’en occupassent. Il pensait d’ailleurs que c’était ce qui se produirait sûrement et que tout prendrait une bonne fin, mais que la situation n’avait pas l’air bien fameuse pour le moment à en juger d’après l’humeur de M. le fondé de pouvoir. Naturellement, je n’ai pas ajouté beaucoup d’importance à ce discours et j’ai cherché à rassurer cet homme naïf ; je lui ai défendu de parler de cette histoire, je tiens tout cela pour cancan. Tout de même il serait peut-être bon, cher papa, que tu t’en occupes à ton prochain passage ; il te sera facile d’apprendre des détails et d’intervenir, s’il y a lieu ; tu as des amis influents. Si ce n’était pas nécessaire, ce qui me semble plus vraisemblable, cela procurerait du moins à ta fille une occasion de t’embrasser qui lui ferait le plus grand plaisir. »  La brave enfant ! » dit l’oncle quand il eut fini de lire, et il essuya quelques larmes. K. hocha la tête pensivement ; à la suite de ses derniers ennuis il avait complètement oublié Erna ; il avait même négligé de lui souhaiter son anniversaire. L’histoire du chocolat n’avait été visiblement inventée que pour le préserver des reproches de son oncle et de sa tante. C’était une chose très touchante et qu’il ne récompenserait certainement pas à sa valeur en envoyant régulièrement, comme il le ferait désormais, des cartes de théâtre à Erna. Mais dans sa situation présente il ne se sentait pas en état d’aller voir à sa pension une petite fille de dix-huit ans et de converser avec elle.  Eh bien, que dis-tu maintenant ? demanda l’oncle à qui la lettre avait fait oublier toute hâte et toute émotion et qui semblait la relire encore. – Ma foi, cher oncle, dit K., c’est vrai. – Vrai ? s’écria l’oncle, qu’est-ce qui est vrai ? comment cela peut-il être vrai ? quel est ce procès ? ce n’est tout de même pas un procès criminel ? – C’en est un, dit K. – Et tu es assis là tranquillement quand tu as un procès criminel sur les bras ? s’écria l’oncle qui s’excitait de plus en plus. – Plus je suis calme, mieux ça vaut, dit K. avec lassitude, ne crains donc rien. – Cela ne saurait me tranquilliser, s’écria l’oncle, pense à toi, à tes parents, à notre bon renom, tu as été notre honneur jusqu’ici, tu ne dois pas devenir notre honte. Ton attitude – il considérait K. en inclinant la tête de côté – ton attitude ne me plaÃt pas ; ce n’est pas ainsi que se conduit un condamné innocent quand il est encore en pleine force. Dis-moi vite de quoi il s’agit afin que je puisse t’aider. C’est de la banque naturellement ? – Non, dit K. en se levant, mais tu cries trop fort, mon cher oncle ; le domestique est sûrement derrière la porte à écouter ; cela m’est désagréable ; il vaut mieux nous en aller, je répondrai alors à toutes tes questions ; je sais très bien que je dois des comptes à la famille. – Parfait ! cria l’oncle, parfait, dépêche-toi, Joseph, dépêche-toi. – Je n’ai, dit K., que quelques ordres à donner », et il appela au téléphone son remplaçant qui ne tarda pas à arriver. L’oncle, dans son excitation, montra de la main au remplaçant que K. l’avait fait appeler, ce que personne ne songeait à mettre en doute. K., debout devant son bureau, expliqua à voix basse au jeune homme, qui écoutait d’un air froid mais attentif, ce qu’il aurait encore à faire en son absence, en montrant différents papiers. L’oncle commença par gêner en restant planté là avec des yeux surpris et en se mordillant nerveusement les lèvres, sans écouter, à dire vrai, mais l’apparence suffisait. Il se mit ensuite à aller et venir dans la pièce, s’arrêtant de temps à autre à regarder par la fenêtre ou à considérer une gravure, et poussant à chaque fois différentes exclamations comme  Je n’y comprends absolument rien ! » ou  Je vous demande un peu ce qui va sortir de là ! » Le jeune homme fit semblant de ne rien remarquer, il écouta posément jusqu’au bout les ordres de K., prit quelques notes et disparut après un petit salut à l’adresse de son chef comme aussi à celle de l’oncle, qui lui tournait malheureusement le dos à ce moment-là , occupé qu’il était à regarder par la fenêtre dont il froissait les rideaux à pleines mains. La porte était à peine refermée que l’oncle s’écria  Enfin ! Voilà donc ce guignol parti ! Nous allons pouvoir faire comme lui. » Il n’y eut malheureusement pas moyen de le décider à interrompre ses questions sur le procès dans le péristyle où évoluaient des employés et des domestiques et où le directeur adjoint vint à passer juste à ce moment.  Eh bien, Joseph ! commença l’oncle en répondant par un léger salut aux révérences des gens présents, dis-moi maintenant bien franchement ce qu’est ce procès. » K. débita quelques banalités, puis, une fois sur l’escalier, il expliqua à son oncle qu’il n’avait pas voulu parler devant les gens.  Très bien, dit l’oncle, mais maintenant parle ! » Et il écouta, la tête penchée, en fumant son cigare à petites bouffées hâtives.  Avant tout, cher oncle, dit K., il ne s’agit pas d’un procès devant la justice ordinaire. – Voilà qui est mauvais ! fit l’oncle. – Comment ? dit K. en le regardant. – Je dis que c’est mauvais », répéta l’oncle. Ils se tenaient à ce moment-là sur l’escalier du perron, et, comme le portier semblait prêter l’oreille, K. entraÃna rapidement l’oncle plus bas. Ils débouchèrent dans le trafic animé de la rue. L’oncle, qui s’était accroché au bras de K., pressa moins violemment son neveu de questions ; ils allèrent même un moment sans parler.  Mais comment cela est-il arrivé ? demanda-t-il finalement en s’arrêtant si net que les gens derrière lui se retournèrent avec effroi.  Ces choses-là ne viennent pourtant pas brusquement ! elles se préparent de longue date ! tu as bien dû les voir venir ? Pourquoi ne m’as-tu pas écrit ? Tu sais bien que je fais tout pour toi ; je suis encore un peu ton tuteur et jusqu’ici j’en ai toujours été fier. Naturellement, je suis toujours prêt à t’aider, seulement, c’est très difficile maintenant que le procès est engagé. Le mieux serait que tu prisses un petit congé que tu viendrais passer chez nous à la campagne. Je m’aperçois que tu as un peu maigri. À la campagne, tu te referas et ce sera une bonne chose, car bien des fatigues t’attendent encore. Ce séjour t’arrachera d’ailleurs un peu à la justice. Ici, ils ont tous les moyens possibles ; tu en es forcément victime tout cela se passe automatiquement. À la campagne, ils seraient obligés de commencer par envoyer des gens ou de te réclamer par la poste, le télégraphe, le téléphone. C’est forcément d’un effet moins violent et, si cela ne te libère pas, tu as tout de même le temps de respirer. – Mais ils pourraient m’empêcher de partir ! déclara K. un peu influencé par le discours de son oncle. – Je ne crois pas qu’ils le feraient, répondit l’oncle pensivement, ils gardent assez de pouvoir, même en te laissant voyager. – Je pensais, dit K. en prenant son oncle sous le bras pour l’empêcher de s’arrêter, que tu accorderais à cette histoire encore moins d’importance que moi ; mais je vois que tu la prends encore plus mal. – Joseph ! Joseph ! s’écria l’oncle en cherchant à se dégager pour pouvoir s’arrêter – mais K. ne le lâcha pas – Joseph, on t’a changé, je t’avais toujours connu un jugement sûr et voilà que la tête t’abandonne ; veux-tu donc perdre ton procès ? Sais-tu ce que cela signifierait ? Cela voudrait dire tout simplement que tu serais rayé de la société, et toute ta parenté avec ; en tout cas, ce serait la pire humiliation. Joseph, ressaisis-toi, je t’en prie, ton indifférence me rend fou. À te voir, on croirait presque le proverbe  Avoir un pareil procès c’est déjà l’avoir perdu. » – Cher oncle, dit K., tu t’excites ; il ne sert à rien de s’exciter ; pas plus à moi qu’à toi. Ce n’est pas en s’excitant qu’on gagne les procès ; permets-moi de faire valoir un peu mon expérience, tu sais bien que j’écoute toujours la tienne, même quand elle me surprend. Puisque tu dis que toute la famille aurait à souffrir du procès, ce que je ne comprends pas pour ma part – mais c’est secondaire – je veux bien faire tout ce que tu me diras, mais je ne crois pas que ce séjour à la campagne soit profitable dans le sens où tu l’entends, car une fuite équivaudrait à un aveu. D’ailleurs, si je suis plus exposé aux poursuites en restant ici, j’y suis mieux aussi pour me défendre. – Fort bien, dit l’oncle sur un ton qui marquait un rapprochement, je ne te faisais cette proposition que parce que je te voyais gâcher ici ta cause par ton indifférence et que j’aurais trouvé meilleur de m’en occuper à ta place, mais si tu veux t’y mettre toi-même de toutes tes forces c’est naturellement beaucoup mieux. – Nous voilà donc d’accord là -dessus, déclara K., et peuxtu me dire maintenant ce que je devrais faire en premier ? – Il faut me laisser le temps de réfléchir, dit l’oncle, songe qu’il y a vingt ans que j’ai quitté la ville, le flair s’émousse, on ne sait plus à quelle porte on doit frapper. Les relations que j’entretenais avec des personnalités qui auraient peut-être pu te servir dans cette aventure se sont relâchées d’elles-mêmes. Je suis un peu abandonné à la campagne, tu le sais, c’est dans des occasions comme celle-ci qu’on le remarque. Ton affaire se présente à moi d’une façon bien inopinée, quoique la lettre d’Erna m’y ait un peu préparé et que ton attitude présente confirme presque mes pressentiments. Mais peu importe ; l’essentiel est maintenant de ne pas perdre une minute. » Parlant encore, il s’était dressé sur la pointe des pieds, et il avait déjà fait signe à une auto ; tout en jetant une adresse au chauffeur, il poussait K. dans la voiture.  Nous allons de ce pas, dit-il, chez maÃtre Huld l’avocat ; c’est un de mes anciens condisciples ; tu le connais certainement de nom ; tu dis que non ? voilà qui est étrange ! Il a pourtant une assez grosse réputation comme défenseur et avocat des pauvres. Mais c’est surtout l’homme en lui qui m’inspire confiance. – Je suis d’accord avec toi dans tout ce que tu entreprends », dit K. malgré la hâte et la brusquerie avec lesquelles son oncle traitait l’affaire. Il n’était pas très réjouissant pour un accusé d’aller trouver l’avocat des pauvres.  Je ne savais pas, dit-il, qu’il fallût prendre un avocat dans une affaire de ce genre. – Mais, voyons, dit l’oncle, c’est tout naturel ! Pourquoi n’en prendrait-on pas ? Et maintenant raconte-moi tout ce qui s’est passé jusqu’ici pour me mettre au courant de l’affaire. » K. dévida immédiatement son histoire sans en rien taire, car il ne pouvait protester que par une entière franchise contre l’opinion de son oncle qui voyait une grande honte dans ce procès. Il ne mentionna qu’une fois, et de façon superficielle, le nom de Mlle Bürstner ; mis cela n’entamait pas sa loyauté puisque la jeune fille n’avait rien à voir avec le procès. Tout en parlant, il regardait par la portière ; il vit alors qu’ils se rapprochaient du faubourg où se trouvaient les bureaux de la justice et il le fit observer à son oncle, mais l’oncle ne vit rien de bien curieux dans cette coïncidence. La voiture s’arrêta devant une sombre maison. L’oncle sonna à la première porte du rez-de-chaussée ; il souriait en faisant voir ses grandes dents pendant qu’ils attendaient la réponse, et chuchotait à son neveu  Huit heures… ce n’est vraiment pas une heure pour les clients ! mais Huld ne m’en voudra pas. » Deux grands yeux noirs vinrent se montrer derrière le judas de la porte, regardèrent un instant les visiteurs, puis disparurent ; mais la porte ne s’ouvrit pas. L’oncle et K. se confirmèrent réciproquement le fait qu’ils avaient vu les yeux.  C’est une nouvelle bonne qui a peur des étrangers », dit l’oncle en frappant de nouveau. Les deux yeux apparurent encore, ils avaient presque l’air triste, mais peut-être n’était-ce qu’une illusion d’optique provoquée par la flamme du gaz qui brûlait en sifflant audessus de leur tête sans donner cependant plus qu’une faible lueur.  Ouvrez ! cria l’oncle en frappant du poing, ce sont des amis de monsieur l’avocat. – Monsieur l’avocat est malade », chuchota quelqu’un derrière eux. C’était un monsieur en robe de chambre, debout sur le seuil d’une porte, à l’autre extrémité du couloir, qui avait fait cette déclaration d’une voix extrêmement basse. L’oncle, déjà furieux de sa longue attente, se retourna d’un coup pour crier  Malade ? vous dites qu’il est malade ? » et il s’avança d’un air menaçant comme si ce monsieur eût représenté la maladie elle-même.  On vous ouvre », dit le monsieur en montrant la porte de l’avocat, puis il referma sa robe de chambre et disparut. La porte s’était vraiment ouverte. Une jeune fille – K. reconnut les yeux noirs du judas, c’étaient des yeux un peu saillants – une jeune fille se tenait dans le vestibule, enveloppée d’un long tablier blanc et une bougie à la main.  Une autre fois, vous ouvrirez un peu plus tôt, dit l’oncle avant de la saluer, tandis que la jeune fille faisait une petite courbette. Viens, Joseph, dit-il ensuite à K. – Monsieur l’avocat est malade », dit la jeune fille en voyant que l’oncle se dirigeait vers l’une des portes sans prendre le temps de s’arrêter. K. ne cessait de la regarder avec étonnement bien qu’elle se fût déjà retournée pour refermer. Elle avait une figure poupine et toute ronde ; non seulement ses pâles joues et son menton, ses tempes elles-mêmes étaient rondes, et son front était rond aussi.  Joseph ! » cria encore l’oncle, puis il demanda à la jeune fille  C’est le cÅ“ur sans doute ? – Je crois », dit la jeune fille qui était revenue leur montrer le chemin avec sa lumière et leur ouvrir la porte de la chambre. Dans un angle de cette pièce, où la lueur de la bougie ne pénétrait pas encore, un visage à longue barbe s’éleva audessus du lit  Qui vient donc là , Leni ? demanda l’avocat, aveuglé par la lumière. – C’est Albert, c’est ton vieil ami, dit l’oncle. – Hélas ! Albert, fit l’avocat en se laissant retomber sur son oreiller comme s’il n’avait rien à cacher à ce visiteur. – Cela va-t-il tellement mal ? demanda l’oncle en s’asseyant sur le bord du lit. Je ne pense pas, c’est un accès de faiblesse cardiaque comme tu en as déjà eu si souvent et qui passera comme les autres. – C’est possible, fit l’avocat à voix basse, mais il est pire que tous les autres. J’ai peine à respirer, je ne dors pas et je perds mes forces chaque jour. – Ah ! Ah ! dit l’oncle en appuyant son panama de sa grande main sur son genou. Voilà de mauvaises nouvelles ! Es-tu bien soigné, tout au moins ? il fait si triste ici, si sombre. Il y a déjà longtemps que je ne suis plus venu, il me semble qu’autrefois ta maison était plus gaie. Ta petite demoiselle a l’air d’être bien triste, elle aussi, à moins que ce ne soit un masque. » La jeune fille restait toujours avec sa bougie près de la porte ; autant que le vague de son regard permÃt de s’en rendre compte, elle semblait regarder K. plutôt que l’oncle, même quand celui-ci parlait d’elle. K. s’appuyait sur un siège qu’il avait poussé à proximité de la jeune fille.  Quand on est malade comme moi, dit l’avocat, on a besoin de repos ; ce calme n’est pas triste pour moi. » Il ajouta au bout d’un moment  Et puis Leni me soigne bien, elle est gentille. » Mais l’oncle ne fut pas convaincu, il était visiblement prévenu contre la jeune infirmière ; il eut beau ne pas répondre à l’avocat, il ne cessa de la suivre d’un regard sévère quand il la vit aller vers le lit, poser la bougie sur la table de nuit, se pencher sur maÃtre Huld et chuchoter avec lui en rangeant les oreillers. Oubliant presque tout égard pour le malade, il se leva et se mit aller et venir derrière elle d’un tel air que K. n’eût pas été étonné de le voir attraper cette femme par la robe et la repousser loin du lit ; quant à lui, il observait avec calme ; la maladie de l’avocat ne lui était pas entièrement désagréable, car, s’il n’avait pu s’opposer au zèle que l’oncle voulait déployer pour sa cause, il acceptait volontiers que le cours de ce zèle fût détourné sans intervention de sa part. L’oncle déclara, peut-être uniquement pour offenser la garde-malade  Mademoiselle, laissez-nous un instant, s’il vous plaÃt, j’ai une affaire personnelle à discuter avec mon ami. » L’infirmière, qui était encore profondément penchée sur l’avocat et s’occupait de border le lit du côté du mur, détourna seulement la tête et répondit sur un ton calme qui contrastait étrangement avec les propos de l’oncle, tantôt hachés par la fureur, tantôt d’un débit débordant  Vous voyez bien que monsieur est si malade qu’il ne peut discuter nulle affaire en ce moment. » Elle n’avait sans doute répété l’expression de l’oncle que pour plus de commodité, mais, même à un indifférent, l’intention pouvait paraÃtre ironique ; aussi l’oncle sursauta-t-il comme si on l’avait piqué.  Quelle diablesse ! » s’écria-t-il d’une voix à peine compréhensible dans le premier gargouillement de l’émotion. K., prenant peur, bien qu’il se fût attendu à quelque chose de ce genre, courut à l’oncle avec l’intention arrêtée de lui fermer la bouche des deux mains, le malade se redressa heureusement à ce moment, sa silhouette surgit derrière la jeune fille ; l’oncle fit l’horrible grimace d’un monsieur qui avale une chose répugnante, puis déclara plus calmement  Je n’ai pas encore perdu la raison, mademoiselle. Si ce que je demande n’était pas possible, je ne le demanderais pas. Maintenant, laissez-nous, s’il vous plaÃt. » L’infirmière se tenait debout, au chevet du lit, la tête tournée en plein vers l’oncle ; K. crut remarquer qu’elle caressait la main de l’avocat.  Tu peux tout dire devant Leni, fit le malade d’un ton suppliant. – La chose ne me concerne pas, dit l’oncle, ce n’est pas de mon secret qu’il s’agit », et il se retourna comme pour indiquer qu’il ne voulait plus discuter, mais qu’il laissait encore un instant de réflexion à son interlocuteur.  De qui s’agit-il donc ? demande l’avocat d’une voix mourante en se recouchant. – De mon neveu, je l’ai fait venir ici, et il présenta M. le fondé de pouvoir Joseph K. – Oh ! dit le malade plus vivement en avançant la main vers K. ; excusez-moi, je ne vous avais pas vu. – Va, Leni », dit-il ensuite à l’infirmière qui ne fit plus aucune difficulté, et il lui tendit la main comme si elle partait pour longtemps.  Tu n’es donc pas venu, dit-il enfin à l’oncle qui s’était rapproché plus amicalement, tu n’es pas venu pour le malade, mais pour l’affaire. » Il semblait que l’idée qu’on vÃnt le voir à cause de sa maladie l’eût paralysé jusqu’alors tant il parut ravigoté à partir de ce moment-là . Il restait appuyé sur un coude, ce qui devait être assez fatigant, et il tiraillait constamment une mèche de sa grande barbe.  Tu as l’air d’aller déjà bien mieux, dit l’oncle, depuis que cette sorcière est partie. » Il s’interrompit pour souffler  Je parie qu’elle écoute », et bondit vers la porte. Mais personne n’était derrière, l’oncle revint, non point déçu – car l’absence de l’infirmière lui paraissait encore pire – mais irrité.  Tu te méprends sur son compte », dit l’avocat sans la défendre davantage – peut-être pour marquer qu’elle n’en avait pas besoin. Puis il continua d’un ton plus cordial  Quant à l’affaire de monsieur ton neveu, je m’estimerais évidemment heureux si mes forces pouvaient suffire à une tâche aussi pénible ; je crains beaucoup qu’elles ne soient pas à la hauteur de la situation, mais je ne ménagerai rien ; si je ne peux pas faire face à tout il sera toujours temps de m’adjoindre un confrère. À parler franc, cette cause m’intéresse trop pour que je renonce d’avance à m’en occuper personnellement. Si mon cÅ“ur me lâche trop tôt il aura du moins trouvé une digne occasion de le faire. » K. pensait ne pas comprendre un mot de tous ces discours, il ne cessait de regarder l’oncle pour y trouver un sens, mais celui-ci restait assis avec sa bougie à la main, sur la petite table de nuit d’où une bouteille de potion avait déjà roulé sur le tapis il approuvait d’un hochement de tête les moindres mots de l’avocat, se montrait d’accord sur tous les points, et adressait de temps à autre à son neveu un regard qui l’exhortait à la même approbation. L’oncle avait-il déjà parlé de ce procès ? Mais non, c’était chose impossible, tout ce qui avait précédé la scène infirmait cette supposition. Aussi dit-il  Je ne comprends pas. – Me serais-je mépris ? demanda l’avocat aussi surpris et embarrassé que K. ; ma précipitation m’a peut-être lancé sur une fausse piste ? De quoi vouliez-vous donc me parler ? Je pensais qu’il s’agissait de votre procès. – Naturellement », dit l’oncle, et il demanda à K.  Que veux-tu donc ? – Mais, dit K., d’où savez-vous donc quoi que ce soit de moi et de mon procès ? – Ah ! c’était ça ! dit l’avocat en souriant, vous savez pourtant bien que je suis avocat je fréquente les gens de justice, on parle toujours des procès et on retient ceux qui vous frappent le plus, surtout quand il s’agit du neveu d’un ami. Il n’y a rien là de surprenant, me semble-t-il. – Que veux-tu donc encore ? dit l’oncle à K. ; tu as l’air inquiet. – Vous fréquentez les gens de justice ? demanda K. – Mais oui ! » dit l’avocat. Et l’oncle déclara  Tu questionnes comme un enfant. – Qui verrais-je donc, ajouta l’avocat, sinon les gens de mon rayon ? » C’était dit sur un ton si irréfutable que K. ne répondit pas un mot.  Vous travaillez pourtant, aurait-il voulu dire – et de fait il ne put s’empêcher de l’articuler nettement – pour la justice du palais de justice et non pas pour celle du grenier ? – Songez donc, poursuivit alors l’avocat sur le ton de quelqu’un qui explique par parenthèse une chose toute naturelle, songez donc que ces relations-là servent beaucoup ma clientèle, et à bien des égards. Je ne devrais même pas le dire. Naturellement ma maladie me gêne beaucoup pour le moment, mais j’ai toujours à la justice de bons amis qui viennent me voir et j’apprends tout de même les nouvelles. Peut-être plus vite que bien des gens qui passent leur temps au tribunal. C’est ainsi que j’ai là en ce moment une personne qui m’est très chère. » Et il montrait un coin obscur.  Où donc ? » demande K. presque impertinemment sous le coup de la première surprise. Il regarda perplexement autour de lui ; la lumière de la petite bougie était loin de porter jusqu’au mur d’en face. Mais, de fait, quelque chose commença à se remuer dans le coin. À la lumière de la bougie que l’oncle levait maintenant, on découvrit un monsieur d’un certain âge assis près d’une petite table. Il avait dû retenir son souffle pour arriver à rester si longtemps inaperçu ; il se leva cérémonieusement, visiblement mécontent de voir qu’on avait attiré l’attention sur lui, et agita ses mains comme de petites ailes pour exprimer qu’il refusait toute présentation et tout salamalec, qu’il ne voulait en aucune façon gêner les autres et suppliait qu’on le laissât dans son obscurité et qu’on oubliât sa présence. Mais ce n’était plus faisable.  Vous nous avez surpris », dit l’avocat pour expliquer. Et il l’encourageait du geste à approcher, ce que l’autre fit lentement en regardant autour de lui avec mille hésitations, mais non sans dignité.  M. le chef de bureau… – Ah ! pardon ! je ne vous ai pas encore présentés. – Voici mon ami Albert K. et son neveu, M. le fondé de pouvoir Joseph K. ; et voici M. le chef de bureau. M. le chef de bureau a eu l’amabilité de venir me voir. Un profane ne peut soupçonner tout le prix de cette visite ; pour s’en douter il faut être initié, il faut connaÃtre le travail qui accable ce cher monsieur. Il est donc venu malgré tout et nous étions en train de causer paisiblement, dans la mesure où ma faiblesse le permettait. Nous n’avions pas défendu à Leni de laisser entrer les visites, car nous n’en attendions aucune, nous pensions que nous resterions seuls. C’est à ce moment, mon cher Albert, que se sont produits tes coups de poing contre la porte, et M. le chef de bureau s’est retiré dans un coin avec la chaise et la table ; mais je m’aperçois que, si nous le désirons, nous avons un sujet de conversation commun ; réunissons-nous donc à nouveau… Monsieur le chef de bureau… ajouta-t-il en inclinant la tête avec un sourire servile et en montrant un fauteuil près du lit. – Je ne puis plus, hélas ! rester que quelques minutes, dit aimablement le chef de bureau en s’asseyant profondément dans le fauteuil et en regardant sa montre. Les affaires m’appellent. Mais je ne veux pas laisser passer l’occasion de faire la connaissance d’un ami de mon ami. » Et il adressa une petite courbette à l’oncle qui parut très satisfait de ce nouvel ami ; son tempérament l’empêcha, à dire vrai, de manifester ses sentiments, mais il accompagna les paroles du chef de bureau d’un rire aussi bruyant que gêné. Horrible tableau ! K. pouvait le contempler tout à son aise, car personne ne s’occupait de lui. Le chef de bureau, du moment qu’on l’appelait à concourir à l’entretien, saisit, suivant son habitude, le dé de la conversation. L’avocat, dont la faiblesse précédente n’avait peut-être été destinée qu’à éloigner les nouveaux visiteurs, se mit à écouter attentivement, la main à l’oreille, et l’oncle qui n’avait pas lâché la bougie – il la balançait sur sa cuisse et l’avocat regardait souvent ce manège avec inquiétude – l’oncle eut bientôt oublié toute gêne pour s’adonner au ravissement où le plongeaient l’éloquence du chef de bureau et les gestes onduleux dont il accompagnait son discours. K., qui s’appuyait au montant du lit, fut complètement négligé, peut-être même avec intention, par le chef de bureau, et ne servit que d’auditeur aux vieux messieurs. Il savait d’ailleurs à peine de quoi il était question, il laissait errer ses pensées, tantôt songeant à l’infirmière et à la brusquerie avec laquelle l’oncle l’avait traitée, tantôt se demandant s’il n’avait pas déjà vu la tête du chef de bureau. Peut-être était-ce au milieu du public de son premier interrogatoire ? Peut-être aussi se trompait-il ; quoi qu’il en fût, le chef de bureau aurait été admirablement fait pour figurer parmi les vieux messieurs à barbe rare du premier rang de l’auditoire. K. en était là de ses réflexions quand un bruit de porcelaine cassée fit dresser l’oreille à tout le monde.  Je vais voir ce qui s’est passé » dit-il en sortant lentement comme pour permettre aux autres de le retenir. À peine fut-il dans le vestibule, cherchant à se retrouver au milieu des ténèbres, qu’une petite main vint se poser sur la sienne qui n’avait pas encore lâché la poignée de la porte. La petite main referma la porte tout doucement. C’était celle de l’infirmière, qui l’avait entendu venir.  Il n’est rien arrivé, dit-elle ; j’ai jeté simplement une assiette contre le mur pour vous faire sortir. » Embarrassé, K. déclara  Moi aussi, je pensais à vous. – Tant mieux ! Venez ! » Ils se trouvèrent au bout de quelques pas devant une porte à vitres dépolies que la jeune fille lui ouvrit.  Entrez », dit-elle. C’était sans doute le cabinet de l’avocat. Autant qu’on pût distinguer les objets dans la lumière de la lune, qui éclairait maintenant un petit rectangle de plancher devant les deux grandes fenêtres, cette pièce était ornée de vieux meubles pesants.  Ici », dit l’infirmière en montrant un coffre sombre avec un dossier de bois sculpté. Une fois assis, K. poursuivit son examen ; il se trouvait dans une haute salle au milieu de laquelle la clientèle de l’avocat des pauvres devait se trouver absolument perdue. Il crut voir de quels petits pas les clients s’approchaient de l’immense bureau. Mais il oublia bientôt cette impression ; il n’eut plus d’yeux que pour la jeune fille qui était assise tout près de lui et le pressait presque contre l’accoudoir.  Je pensais, dit-elle, que vous viendriez de vous-même, sans que j’eusse à vous appeler. C’est tout de même curieux d’abord, au moment où vous êtes entré, vous n’avez cessé de me regarder, et maintenant vous me faites attendre. Appelez-moi Leni, ajouta-t-elle hâtivement, comme si cette appellation ne devait pas être négligée un seul instant. – Volontiers, lui répondit K., mais la bizarrerie dont vous parlez, Leni, est bien facile à expliquer. Il fallait que j’écoute d’abord le bavardage des vieux messieurs, je ne pouvais m’éloigner sans raison, et puis je ne suis pas un effronté, j’ai un caractère plutôt timide, et vous n’avez pas l’air non plus de vous emballer du premier coup. – Ce n’est pas cela, dit Leni en posant son bras sur l’accoudoir et en regardant K. dans les yeux ; ce n’est pas cela, mais je ne vous plaisais pas, et je ne vous plais sans doute toujours pas. – Plaire, dit K. en éludant, plaire serait un mot bien faible… – Oh ! » dit-elle en souriant. La réflexion de K. suivie de cette petite exclamation procurait à Leni une certaine supériorité ; aussi K. se tut-il un moment. Comme s’il était déjà habitué à l’obscurité de la pièce, il pouvait distinguer maintenant divers détails de l’installation. Il remarqua surtout une grande toile pendue à droite de la porte et se pencha en avant pour mieux la voir. Elle représentait un homme en robe de juge, assis sur un trône élevé dont la dorure éclaboussait tout le tableau. Ce qu’il y avait de curieux dans ce portrait c’était l’attitude du magistrat au lieu de rester assis là dans une calme majesté, il appuyait fortement le bras gauche contre le dossier et le bras du fauteuil, mais le bras droit restait complètement dégagé, la main seule sur l’accoudoir, comme si le juge allait bondir dans un violent mouvement d’indignation pour dire une chose décisive, peut-être même pour prononcer le grand verdict. L’accusé devait être supposé au pied de l’escalier dont on apercevait les degrés supérieurs qui étaient couverts d’un tapis jaune.  Peut-être est-ce mon juge ? dit K. en montrant du doigt le tableau. – Je le connais, dit Leni en regardant, elle aussi ; il vient assez fréquemment ; le portrait date de sa jeunesse, mais il est impossible qu’il lui ait jamais ressemblé le vrai juge est extrêmement petit. Cela ne l’empêche pas de s’être fait représenter immense, car il est énormément vaniteux, comme d’ailleurs tous ici. Moi aussi, je suis vaniteuse, je suis très fâchée de ne pas vous plaire ! » K. ne répondit à cette dernière réflexion qu’en passant le bras autour de Leni et en l’attirant près de lui. Elle appuya silencieusement la tête contre son épaule. Mais, pensant toujours au juge, il demanda  Quel grade a-t-il ? – Il est juge d’instruction, dit-elle en prenant la main de K. il l’avait saisie par la taille et en jouant avec ses doigts. – Encore une fois un simple juge d’instruction ! fit K. déçu, les grands fonctionnaires se cachent. Il est pourtant assis sur un trône ! – Tout cela n’est qu’invention, dit Leni, le visage penché sur la main de K. En réalité, il s’assied sur une chaise de cuisine sur laquelle on pose une vieille couverture de cheval pliée en quatre. Mais ne pouvez-vous donc penser qu’à votre procès ? ajouta-t-elle lentement. – Non, pas du tout, fit K. J’y pense même probablement trop peu. – Ce n’est pas par là que vous péchez, dit Leni. Ce que j’ai entendu dire, c’est que vous êtes trop entêté. – Qui a dit cela ? » demanda K. Il sentait le corps de Leni appuyé sur sa poitrine et regardait l’opulente et ferme torsade de ses cheveux foncés.  Je ne peux pas en dire si long, répondit Leni, ne me demandez pas de noms, mais corrigez-vous de votre défaut, ne soyez pas si obstiné ; on n’a pas d’arme contre cette justice, on est obligé d’avouer. Avouez donc à la première occasion, ce n’est qu’ensuite que vous pourrez essayer de vous échapper, ensuite seulement ; et, même alors, vous ne réussirez que si quelqu’un vous vient en aide, mais ne vous en inquiétez pas, je m’en occuperai moi-même. – Vous avez l’air de bien connaÃtre cette justice et les mensonges qu’il y faut, dit K. en l’asseyant sur ses genoux car elle se pressait trop fort contre lui. – C’est bien comme ça », dit-elle en s’installant à l’aise après avoir égalisé les plis de sa blouse et de sa robe. Puis elle se pendit des deux mains à son cou, renversa la tête en arrière et le regarda longuement.  Et si je n’avoue pas, vous ne pourrez pas m’aider ? » demanda-t-il pour essayer.  Je me fais des aides, pensait-il presque étonné ; d’abord Mlle Bürstner, ensuite la femme de l’huissier, et finalement cette petite infirmière qui semble avoir un si incompréhensible besoin de moi. La voilà assise sur mes genoux comme si c’était sa vraie place. »  Non, répondit Leni en secouant lentement la tête, je ne pourrai pas vous aider si vous n’avouez pas. Mais vous ne tenez pas du tout à ce que je vous aide, vous vous en moquez complètement, vous êtes têtu et vous ne vous laissez pas convaincre… Avez-vous une amie ? demandat-elle au bout d’un instant. – Non, dit K. – Oh ! que si ! fit-elle. – Oui, c’est vrai, dit K., je la reniais et je porte pourtant sa photographie sur moi. » Et, sur la prière de Leni, il lui fit voir une photographie d’Elsa ; pelotonnée sur les genoux de K., Leni étudia l’image c’était un instantané ; Elsa avait été prise à la fin d’une de ces danses tourbillonnantes qu’elle aimait exécuter au cabaret où elle servait ; sa robe volait en spirale autour d’elle, elle avait posé ses mains sur ses hanches fermes et regardait de côté en riant ; on ne pouvait pas voir sur l’image à qui elle riait ainsi.  Et elle est lacée très serré, dit Leni en montrant l’endroit où cela se voyait à son avis ; elle ne me plaÃt pas ; elle est brutale et maladroite. Mais peut-être avec vous est-elle douce et gentille, la photo a l’air de le montrer. Ces grandes filles si solides ne savent souvent qu’être douces et gentilles ; seulement serait-elle capable de se sacrifier pour vous ? – Non, dit K., elle n’est ni douce ni gentille, et elle ne serait pas capable de se sacrifier pour moi. D’ailleurs, je ne lui ai jamais rien demandé de tout cela, je n’ai même encore jamais regardé cette photo aussi attentivement que vous. – C’est que vous ne tenez pas beaucoup à cette jeune fille, dit Leni ; elle n’est donc pas votre amie ? – Si, dit K., je ne retire pas le mot. – Il se peut bien, répondit Leni, qu’elle soit votre amie maintenant, mais vous ne la regretteriez pas beaucoup si vous la perdiez ou si vous la changiez pour une autre, pour moi par exemple. – Évidemment, c’est une idée qui peut venir, dit K. en souriant, mais Elsa a une grande supériorité sur vous elle ne sait rien de mon procès, et même si elle en savait quelque chose elle n’y penserait jamais. Elle ne chercherait jamais à me persuader de céder. – Ce n’est pas là une supériorité, dit Leni ; si elle n’en a pas d’autre je ne perds pas courage. A-t-elle quelque défaut physique ? – Un défaut physique ? demanda K. – Oui, dit Leni, moi, j’en ai un petit, voyez. » Elle écarta le majeur et l’annulaire de sa main droite, entre lesquels la peau avait poussé jusqu’au bout de la deuxième phalange. K. ne remarqua pas immédiatement dans le noir ce qu’elle voulait lui montrer, elle guida sa main dans l’ombre et lui fit tâter la petite peau.  Quel phénomène ! » s’écria K. Et, après avoir jeté un coup d’œil d’ensemble sur la main, il ajouta  La jolie serre que voilà ! » Leni regardait avec une sorte de fierté l’étonnement de K. qui ne cessait d’ouvrir et de refermer ces deux doigts ; finalement, il les embrassa avant de les abandonner.  Oh ! s’écria-t-elle aussitôt, vous m’avez embrassée. » Hâtivement, la bouche ouverte, elle grimpa sur ses genoux ; K. la regardait, stupéfait. Maintenant qu’elle était tout près de lui il remarquait qu’elle dégageait un parfum amer et brûlant, une sorte d’odeur de poivre ; elle attira la tête de K. sur sa poitrine, se pencha dessus, puis mordit et embrassa son cou, elle donna même des coups de dents dans ses cheveux.  Vous m’avez prise en échange, s’écria-t-elle de temps en temps, vous le voyez bien maintenant, vous m’avez prise en échange ! » Mais, à ce moment, son genou glissa, elle poussa un petit cri et tomba presque sur le tapis. K. la saisit par la taille pour la retenir, mais il fut entraÃné dans sa chute.  Maintenant, dit-elle, tu m’appartiens. Voici la clef de la maison, viens quand tu veux », lui souffla-t-elle pour finir. Et elle lui lança encore un baiser au jugé pendant qu’il s’en allait. Lorsqu’il sortit de la maison, une légère pluie tombait ; il voulait gagner le milieu de la rue pour essayer de voir Leni à sa fenêtre un dernière fois quand l’oncle surgit d’une automobile qui attendait devant la maison et que K. était trop distrait pour avoir aperçue ; l’oncle saisit son neveu par le bras et le repoussa contre la porte de l’immeuble, comme s’il voulait l’y clouer.  Comment, s’écria-t-il, as-tu pu faire cela ? Tu as porté le pire tort à ton affaire qui était justement en bon chemin ! Tu vas te cacher avec une petite saleté, qui est visiblement, pour comble, la maÃtresse de l’avocat, et tu passes des heures sans revenir, tu ne cherches même pas un prétexte, tu ne caches rien, tu agis au grand jour, tu voles la rejoindre et tu restes près d’elle ! Et tu nous plantes là tous trois l’oncle qui s’éreinte pour toi, l’avocat qu’il te faut gagner, et le chef de bureau surtout, ce personnage si puissant qui peut tout dans ton affaire à la phase où elle en est ! Nous cherchons à trouver un moyen de t’aider ; il faut que je traite l’avocat très prudemment, il faut que l’avocat, de son côté, ménage le chef de bureau, et devant tant de difficultés, ton devoir serait tout au moins de me soutenir tant que tu pourrais ! Mais non, tu restes dehors ! Il vient forcément un moment où rien ne peut plus se cacher ! Évidemment, ce sont des hommes polis, ils n’en parlent pas, ils m’épargnent, mais à la fin ils n’ont plus pu se maÃtriser et, ne pouvant parler de la chose, ils n’ont plus prononcé un mot. Nous sommes restés un quart d’heure à ne rien dire et à écouter pour savoir si tu n’allais pas revenir. En vain. Finalement le chef de bureau, qui était resté bien plus longtemps qu’il ne voulait, s’est levé pour prendre congé, il me plaignait visiblement, mais sans rien pouvoir pour m’aider ; il a attendu encore à la porte un bon moment avec une incroyable amabilité, puis il est parti. Tu peux penser si ce départ m’a soulagé, je ne pouvais plus respirer. L’avocat, qui est malade, en a souffert encore plus, il ne pouvait plus parler, cet excellent homme, quand je lui ai dit adieu. Tu as probablement contribué à son complet effondrement, tu as précipité la mort d’un homme qui était ton seul recours. Et moi, ton oncle, tu me laisses attendre ici des heures en pleine pluie ; touche, je suis complètement trempé. » Chapitre 7 L’AVOCAT, L’INDUSTRIEL ET LE PEINTRE Un jour d’hiver – la neige tombait dans une lumière grisâtre – K. se tenait à son bureau ; il était déjà extrêmement fatigué malgré l’heure matinale. Pour se délivrer des petits employés il avait dit au domestique, sous prétexte d’un gros ouvrage, de ne laisser entrer personne. Mais, au lieu de travailler, il se retournait sur son siège et remuait les objets de sa table ; finalement il allongea machinalement son bras sur le bureau et resta là sans mouvement, la tête basse. L’idée de son procès ne le lâchait plus, il s’était déjà demandé souvent s’il ne serait pas bon de préparer un rapport écrit pour sa défense et de l’envoyer au tribunal il y aurait exposé brièvement son existence en expliquant, à propos de tous les événements un peu importants qui lui étaient arrivés, les motifs qu’il avait eus d’agir comme il l’avait fait, et en jugeant ensuite ces motifs suivant ses opinions présentes ; il eût donné pour terminer les raisons de ce dernier jugement. Un tel rapport lui paraissait bien supérieur à la méthode de défense des avocats qui n’étaient d’ailleurs pas des gens irréprochables. K. ne savait pas en effet ce que l’avocat entreprenait ; ce n’était sûrement pas grand-chose, il y avait déjà plus d’un mois que son défenseur avait cessé de le convoquer, et il n’avait d’ailleurs jamais eu l’impression, à nulle des consultations précédentes, que cet homme pût beaucoup pour lui. MaÃtre Huld ne lui avait presque rien demandé, et il y avait cependant tant de questions à poser ! Ces questions, c’était l’essentiel. K. sentait lui-même tout ce qu’il eût été nécessaire de demander. Mais l’avocat, au lieu de questionner, se lançait dans de longs discours ou bien restait sans rien dire en face de lui en se penchant légèrement sur sa table, sans doute à cause d’une certaine surdité, tiraillait une mèche de sa barbe et regardait les dessins du tapis, à l’endroit peut-être où K. avait roulé avec Leni. De temps à autre il lui donnait quelques avertissements creux, comme on fait avec les enfants. Discours aussi inutiles qu’ennuyeux que K. se proposait de ne pas payer un centime au moment de l’addition. Quand l’avocat pensait l’avoir suffisamment humilié, il se mettait en général à le remonter un peu. Il avait, disait-il, gagné en tout ou en partie bien des procès de ce genre, qui, peut-être plus limpides, n’en paraissaient cependant pas moins désespérés. Il en avait la liste ici dans son tiroir – et il frappait n’importe où sur la table – mais le secret professionnel l’empêchait malheureusement de montrer les dossiers. La grande expérience qu’il avait acquise au cours de tous ces débats n’en profiterait pas moins à K. il s’était mis évidemment à l’œuvre sur-le-champ et il avait déjà dressé la première requête. Cette requête était très importante, car tout le procès dépendait souvent de la première impression produite par la défense. Par malheur – et il fallait naturellement qu’il en avertÃt K. dès maintenant – il arrivait souvent que ces premières requêtes ne fussent pas lues par le tribunal. On les classait tout simplement en déclarant que l’interrogatoire de l’accusé était provisoirement plus important que tous les écrits possibles. On ajoutait, si le requérant insistait trop, que sa demande serait lue en même temps que tous les autres documents, avant le jugement définitif, quand le dossier serait complet. Cela n’était, hélas ! pas toujours vrai, ajoutait encore l’avocat, la première requête restait en général dans quelque tiroir où on finissait par la perdre et, même dans le cas où on la gardait jusqu’à la fin, on ne la lisait ordinairement pas, comme l’avocat l’avait appris – quoique, à vrai dire, par des bruits plus ou moins autorisés. Cette situation était regrettable, mais non sans quelque motif. K. ne devait pas perdre de vue que les débats n’étaient pas publics, qu’ils pouvaient le devenir si le tribunal le jugeait nécessaire, mais que la loi ne prescrivait pas cette publicité. Aussi les dossiers de la justice, et principalement l’acte d’accusation, restaient-ils secrets pour l’accusé et son avocat, ce qui empêchait en général de savoir à qui adresser la première requête et ne permettait au fond à cette requête de fournir d’éléments utiles que dans le cas d’un hasard heureux. Les requêtes vraiment utiles ne pouvaient se faire, ajoutait maÃtre Huld, que plus tard, au cours des interrogatoires, si les questions que l’on posait à l’inculpé permettaient de distinguer ou de deviner les divers chefs d’accusation et les motifs sur lesquels ils s’appuyaient. Naturellement, dans de telles conditions, la défense se trouvait placée dans une situation très défavorable et très pénible, mais c’était intentionnel de la part du tribunal. La défense n’est pas, en effet, disait encore maÃtre Huld, expressément permise par la loi ; la loi la souffre seulement, et on se demande même si le paragraphe du Code qui semble la tolérer la tolère réellement. Aussi n’y a-t-il pas, à proprement parler, d’avocat reconnu par le tribunal en cause, tous ceux qui se présentent devant lui comme défenseurs ne sont en réalité que des avocats marrons. Évidemment ce fait était très déshonorant pour toute la corporation ; K. n’aurait qu’à regarder la salle spécialement réservée aux avocats quand il irait dans les bureaux de la justice, il reculerait probablement d’effroi en voyant la société qui s’y rassemblait ; le seul aspect du réduit qu’on leur avait réservé dans le bâtiment montrait le mépris du tribunal pour ces gens-là . La pièce ne recevait le jour que par une petite lucarne, si haute que pour regarder de l’autre côté – en respirant la fumée de la cheminée voisine et en se barbouillant le visage de suie – il fallait d’abord trouver un confrère qui vous fÃt la courte échelle ; il y avait, de plus, depuis plus d’un an, dans le plancher de cette pièce – pour ne donner qu’une idée de son délabrement – un trou par lequel un homme ne pouvait peut-être passer, mais suffisamment grand tout de même pour qu’une jambe s’y enfournât complètement. Or, cette salle des avocats se trouvait au deuxième étage du grenier ; si l’un de ces messieurs s’enfonçait dans le trou, sa jambe pendait donc au premier, et au beau milieu du couloir où attendaient les inculpés. Les avocats n’exagéraient donc pas en déclarant cette situation franchement honteuse. Nulle réclamation n’y faisait. Et il leur était strictement interdit de rien modifier à leurs propres frais ; la justice avait d’ailleurs ses raisons pour leur faire subir ce traitement. Elle cherchait à éliminer le plus possible la défense ; elle voulait que l’accusé répondit lui-même de tout. Au fond, ce point de vue n’était pas mauvais ; mais rien n’eût été plus erroné que d’en conclure que les avocats fussent inutiles à l’accusé devant ce tribunal. Bien au contraire, nulle part ils ne pouvaient lui être plus utiles, car en général les débats n’étaient pas seulement secrets pour le public, mais aussi pour l’accusé dans la mesure, naturellement, où le secret était possible, mais il l’était précisément dans une très large mesure. L’accusé ne possédait, en effet, nul droit de regard sur les dossiers et il était très difficile de savoir d’après les interrogatoires ce qu’il pouvait y avoir dans ces dossiers, surtout pour l’accusé qui se trouvait intimidé et dont l’attention était distraite par toutes sortes de soucis. C’était là que la défense intervenait. Généralement les avocats n’avai

Letrompe-l’œil est l’art de faire croire à quelque chose qui n’est pas ce qu’il parait être. Les artistes qui maîtrisent cet art (oui, c’est bien un art) sont de vrais magiciens : ils sont capables de faire apparaître des trous dans un mur là où il n’y en a pas, de transformer le plâtre en marbre ou en bois rares comme l’acajou ou le merisier, ils sont capable de faire Description du sticker Comment poser un stickerSpécifications techniques Des stickers trompe l'oeil pour votre déco ! Avec les stickers muraux trompe l'oeil et ce trompe l'oeil Phare et mouette, vous pourrez enfin décorer l'intérieur de votre appartement ou maison à votre guise ! Inviter vos sons à la maison de la mer avec cette belle vue de la grotte. Où coller cet autocollant déco ? Cet autocollant déco sera parfait votre salon, votre bureau ou votre chambre ! Si vous aimez voyager, ces stickers vous rappellerons vos voyages et les plus beaux panoramas du monde. Retour en haut Papierspeints Trompe l'œil 100 % écologique Configuration en ligne Nous vous aiderons à choisir un motif !
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uncarnet relié est toujours plus facile à conserver sur une étagère, et ceci nous empêche de vouloir jeter nos vieux dessins. Cela rend bien service, car de temps à autre, il est très motivant de constater les progrès que l’on a fait en comparant les dessins récents avec les anciens. il est facile d’emmener notre carnet partout où nous allons, et sans forcément abîmer

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Chezles personnes de la taille 175 cm – 1/7,75 et pour la taille 180 la proportion de la tête est 1/8 du corps. Proportions du visage. Premier schéma. Si l’on sépare la taille verticale de la tête en 4 parties égales, la première partie sera la partie de la tête couverte par les cheveux, la deuxième partie sera la taille verticale Inclure un texte personnalisé en vinyle à partir de Texte customisé 0€ Raclette Tapis de souris 25x20 cm avec le même dessin Set de table 45x30cm avec le même design Tableaux 40x40cm avec le même design Application facile SANS BULLES, RAYURES ou RÉSIDUS lors du décollement Matériau d'une LONGUE DURABILITÉ et ADHÉRENCE. Convient pour un usage intérieur et extérieur COULEURS VIVES ET INTENSEES dès le premier jour, SANS RÉFLÉCHISSEMENTS. TENDANCE EN MATIÈRE DE DÉCORATION. Une décoration unique, rapide et très économique Application facile SANS BULLES, RAYURES ou RÉSIDUS lors du décollement Matériau d'une LONGUE DURABILITÉ et ADHÉRENCE. Convient pour un usage intérieur et extérieur COULEURS VIVES ET INTENSEES dès le premier jour, SANS RÉFLÉCHISSEMENTS. TENDANCE EN MATIÈRE DE DÉCORATION. Une décoration unique, rapide et très économique Paiement sécurisé Frais de port gratuits dès 55€ d'achat RECOMMANDATIONS SIMILAIRES POUR Stickers Ou AUTRES PRODUITS QUI POURRAIENT VOUS INTÉRESSER Informations sur Sticker qui Trompe l'Oeil panoramique Provence Référence A36486 . 233 265 266 239 226 353 202 240

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